Zvonimir Novak, éditions L’Échappée, 2015, 32 euros.
Le dimanche matin, parfois sous la pluie, souvent dans l’indifférence, les militants distribuent des tracts sur les marchés. En semaine, souvent tôt le matin, certains se postent devant l’entrée des usines en espérant un peu d’attention des travailleurs qui viennent embaucher... Distribuer des tracts c’est le quotidien de nombreux militants. Mais les tracts ont une histoire. C’est à cette histoire que s’attaque Zvonimir Novak, raconter ce qu’est cette « littérature de rue » et les différents usages qu’elle a pu avoir.
L’auteur date la naissance des premiers tracts avec les libelles, des petits pamphlets de quelques pages au 16e siècle, puis des Mazarinades.
Dans cet ouvrage très richement illustré, on découvre une somme de trouvailles parfois étonnamment efficaces ou belles. Car ces « documents éphémères de propagande politique » sont parfois aussi l’occasion d’inventions graphiques.
La forme du tract a beaucoup évolué, parfois en fonction des contraintes, parfois pour mieux retenir l’attention : « loin d’avoir été confiné ad vitam aeternam à une feuille rectangulaire au format A4, le tract a su, comme un caméléon, changer de peau pour surmonter les obstacles du rejet ou de l’indifférence ».
Le livre s’intéresse à toutes les formes de tracts politiques, leur massification au tournant du 20e siècle, principalement autour de l’anticléricalisme et l’affaire Dreyfus, puis à partir de la Première Guerre mondiale, leur intégration au dispositif militaire (entre autres avec le largage de tracts dans les tranchées adverses).
On y trouve encore quelques exemples de « tracts doublés » qui, sous couvert d’un tract assez anodin, contiennent clandestinement un message politique, par exemple du « jardinier averti » qui titre « comment avoir des légumes cet hiver ? » et qui cache un tract du « salut public » en 1943. On y trouve également beaucoup d’exemples de propagande anticommuniste, mais aussi l’antifascisme dans les années 30.
Plus drôle, le livre fait une grande place à la propagande Dada ou des situationnistes, avec quelques pépites comme Le retour de la colonne Durutti, ses découpages et détournements d’images de la culture populaire et ses saillies contre l’Unef ou les JCR.
Ce livre, qui retrace plus d’un siècle d’histoire politique à travers une propagande vivant de la main à la main, nous rappelle aussi que l’on est pas condamné à imprimer des tracts tristes et moches pour diffuser nos idées.
Pierre Baton et Camille Jouve