Publié le Mercredi 14 septembre 2022 à 12h15.

Arrête-toi !, de Makan Kebe (avec Amanda Jacquel)

Préface d’Assa Traoré, éditions Premiers Matins De Novembre, 232 pages, 15 euros.

Écrire pour expliquer et dénoncer, pour soigner, pour se défendre et construire. Le livre de Makan Kebe avec Amanda Jacquel prend place dans l’histoire des luttes contre les violences d’État comme un fil tendu entre nos résistances et nos espoirs. Makan Kebe avance sur ce fil comme le funambule dont il peint la métaphore au long de l’ouvrage.

Les effets des violences d’État décortiqués

À partir des brutalités policières subies en juin 2013 par sa mère, son frère et lui-même lors d’une opération à Villemonble (93) où il est pris pour un autre par les forces de l’ordre, il décrit d’autres violences, presque toujours invisibilisées : les profondes implications qui frappent la communauté des proches et les victimes elles-mêmes lorsqu’elles ont survécu, au moment de la catastrophe et pendant les années qui la prolongent. Hospitalisations, incarcérations, judiciarisation, médiatisation... Ce livre décrit les violences institutionnelles, symboliques et bien réelles qui continuent de marquer les corps et les psychismes au cours des longues années de lutte et sur le chemin difficile de la reconstruction collective.

Accompagné de photos des collectifs Œil et La Meute, il est la trace d’une époque dans l’histoire de ces luttes, où les survivantEs, à l’heure de la construction d’un large mouvement d’entraide face aux violences d’État, se relèvent aussi en prenant la plume et se rétablissent comme « auteurs » de leurs propres histoires. Ce sont les mots d’Assa Traoré, qui elle aussi écrit au cœur du combat et qui a préfacé le livre. Elle y rend hommage au rôle central des mères dans les quartiers populaires et dans les combats pour l’émancipation.

Arrête-toi ! décortique aussi la manière dont les violences d’État participent à tenter d’arrêter les parcours de vie, personnels et collectifs, ainsi que les espoirs de transformation dans les quartiers ségrégués de la France contemporaine.

Ce livre est aussi une analyse critique sur les partitions qu’engendrent les systèmes de domination dans nos chairs et nos personnalités. Il met des mots sur la manière dont les violences d’État colonisent jusqu’à l’intérieur des corps, comme l’explique Assa Traoré au sujet de Fatouma Kebe, la mère de Makan, qui a perdu un œil puis sa santé et enfin sa vie dans cette histoire. Les mots d’Amanda Jacquel et de Makan Kebe sont des boucliers et des remparts, des pansements et des abris où se régénérer et faire corps « tous autant que nous sommes », selon les mots d’Assa Traoré. Alors que les violences d’État « percutent l’intime au quotidien » comme l’écrit Makan Kebe, Arrête-toi ! participe à la reprise en main du récit par les dominéEs elles et eux-mêmes.