Publié le Dimanche 30 mars 2014 à 10h05.

Autobiographie : Journal d’un révolutionnaire de Gérald Bloncourt

Mémoire d’encrier, 2014, 17,10 euros. Commander à la librairie La Brèche.

L’auteur est haïtien, mais vit en France depuis 1946. Photographe, peintre, graveur, écrivain, poète et révolutionnaire, il retrace, dans ce livre passionnant, quelques un des moments de son parcours d’artiste et de rebelle.

Né à Bainet, un petit village haïtien, en 1926, Gérald est le frère cadet de Tony Bloncourt, un des jeunes résistants communistes fusillés par les nazis au Mont-Valérien en mars 1942. Peintre doué, il sera en 1944 un des fondateurs du Centre d’art de Port-au-Prince, ainsi que du premier noyau communiste haïtien, avec Jacques Stéphen Alexis – qui deviendra un très grand écrivain, avant de tomber victime des sbires du dictateur Duvalier (1961) – René Depestre et d’autres jeunes.Leur publication, un petit journal dirigé vers la jeunesse, la Ruche, va imprimer, fin 1945, le discours d’André Breton lors de son arrivée en Haïti, et quelques autres textes contre la dictature du Président Lescot. Le bulletin est jugé incendiaire et subversif par le pouvoir et ses éditeurs mis sous les verrous. C’était sans compter sur la capacité de résistance des jeunes abeilles de la Ruche, qui organisent, sous la direction de Jacques Stéphen Alexis, la riposte : grèves étudiantes, grèves ouvrières, manifestations, semi-insurrection. Ce sont les « Cinq (journées) Glorieuses » de janvier 1946, qui finiront par renverser le nommé Lescot.Gérald Bloncourt est aux avant-postes des mobilisations, comme le témoignent diverses photos qui illustrent le livre. Deux fois arrêté par la police, deux fois évadé, il est infatigable dans l’agitation et l’organisation de la révolte. Hélas, une junte militaire s’empare du pouvoir, et Bloncourt, jugé dangereux et « fauteur de troubles », est expulsé manu militari vers la France.

Passer le flambeauArrivé à Paris en mai 1946, il s’empresse de visiter le siège du Parti communiste français, muni d’une lettre solennelle des communistes haïtiens, sollicitant l’aide de leur parti frère. Le « responsable » qui le reçoit dans son bureau, après avoir lu et relu la lettre, le renvoie avec cette déclaration sèche : « On vous contactera. Salut, camarade ». Ce fut tout, au grand désespoir du jeune militant qui ne comprend pas cette totale absence de fraternité : « ce ne sont pas des méthodes communistes ». Il se demande si cette froideur est due à sa rencontre avec le « trotskyste » André Breton ou son amitié avec le « trotskyste » Edouard Glissant… Le contraste est vif avec la rencontre, quelques mois plus tard, de Hô Chi Minh, de passage à Paris, qui connaissait sa famille (son oncle l’avait caché lors d’un moment difficile dans les années 1930). Le révolutionnaire indochinois le reçoit chaleureusement, rend hommage au peuple haïtien et à ses écrivains, comme Jacques Roumain et René Depestre, et prie le jeune militant d’aider à la cause du peuple vietnamien en luttant en France pour imposer la paix. « Quel immense bonhomme ! Lui, au moins, c’est un communiste ! »Aujourd’hui, âgé de 87 ans, après une brillante carrière de photographe (voir son livre Le regard engagé, parcours d’un franc-tireur de l’image, 2004) Gérald Bloncourt, qui ne cache pas sa sympathie pour un certain jeune postier révolutionnaire, dédie son livre aux jeunes générations : « À vous de reprendre le flambeau »…

Michael Löwy