De Louis Oury Agone, 2016 (réédition), 19 euros.
Ce livre écrit en 1972, commence le 18 décembre 1950 quand, à 17 ans, l’auteur fait son « entrée dans la classe ouvrière » comme chaudronnier à la Sacer dans sa région natale de Loire-Atlantique. En 1953, il se fera embaucher aux chantiers de Saint-Nazaire, bastion ouvrier de 15 000 travailleurs.
C’est un autre monde pour ce jeune prolo, premier de sa famille à quitter la campagne des aïeux « dont l’horizon se limitait à un champ de betteraves », un passage « de la vie pastorale à l’univers de merde, de sueur et de sang qu’est celui de l’usine » qui va profondément le chambouler. Lui qui est marqué par cette mentalité paysanne, soumis à une éducation catholique pour qui les communistes sont des sauvages et les ouvriers des fainéants dépravés…
Il nous fait découvrir et vivre « ce milieu apocalyptique où tout n’est que feu et flammes », des conditions de travail terribles, des semaines de 54 et même 70 heures, dimanche compris, pour suivre les cadences imposées. La moitié du salaire était en primes, le « boni » versé si le travail suivait les délais imposés par les chefs. Alors, pour avoir un salaire permettant de profiter des débuts de la société de consommation, construire sa maison, il fallait en faire des heures pour ceux qui pouvaient suivre.
Une grande part du livre sera consacrée aux grèves de 1955 qui vont s’étaler sur plusieurs mois, de débrayages en manifestations, d’occupations en affrontements violents avec les CRS qui vont se transformer en véritable émeute à Saint-Nazaire et au-delà, puisque un ouvrier de Nantes y laissera la vie.
C’est un témoignage puissant et touchant d’un ouvrier sur sa vie et celle de ses compagnons de travail, de souffrances mais aussi de luttes collectives, de solidarité, d’espoir en des lendemains meilleurs. Un document sur cette classe ouvrière de l’après-guerre et d’avant celle de 1968. Un autre regard aussi sur ces années dites des « Trente glorieuses » où il y avait du boulot, certes, mais à quel prix !
Il ne s’agit pas que d’un document sur une classe ouvrière disparue, car dans le monde existe toujours bel et bien une telle exploitation – et même pire – des travailleurs. Ici aussi, nous pouvons constater les reculs, les dégradations dans les conditions de vie et de travail, et quel retour en arrière pourrait nous emmener la casse du code du travail en cours ! La lutte des classes est bien toujours à l’ordre du jour et cette réédition donc tombe bien !
Jacques Raimbault