Scénario de Galic et Bertrand Kris, dessin et couleurs de Damien Cuvillier, Futuropolis, 2016, 16 euros.
«À la mémoire de tous les républicains espagnols réfugiés en France qui espérèrent longtemps que leur exil s’arrêterait… À leurs descendants et à Brest » (Kris). En 1937, la guerre d’Espagne s’invitait en Bretagne avec l’arrivée du sous-marin C2. Ainsi la nuit du dimanche 29 août, à Brest, dans la purée de pois, un sous-marin espagnol fait surface dans la rade. Il appareille au grand port du Ponant. Des réparations sur l’engin sont nécessaires...
Tiré d’un fait authentique et de personnages réels, cette BD révèle le dessous des cartes d’une partie de dupes entre une France du Front populaire qui prônait la neutralité... mais qui laissait les nervis du Parti social français œuvrer avec les barbouzes nationalistes. Une lutte à mort s’engage alors entre anarchistes et communistes, miraculeusement alliés, et les franquistes, afin de prendre le contrôle du précieux bâtiment. Le Caudillo qui vient de faire bombarder Guernica ne dispose en effet pas encore de sous-marin. Il diligente le commandant Troncoso (futur directeur du Real Madrid à partir de 1951...) et son adjoint Ibanez des Renseignements militaires fascistes pour organiser le rapt. De son côté, le SIC (Servicio de Informacion y de Coordinacion) du service secret de la CNT, qui a réussi à infiltrer les franquistes, envoie son meilleur agent X10. C’est lui qui, d’une voix off légèrement désabusée, raconte la lutte pour contrer les fascistes espagnols et français.
Espions, truands et prostituées d’une Brest bouillonnante participent à l’aventure aux côtés des militants des deux bords. La belle Mingua parvient à séduire le capitaine du C2 pour le compte des fascistes, tandis que les communistes brestois introduisent une arme à bord du C2 désarmé par la République française. Parmi les dirigeants anarchistes qui vont défendre le sous-marin, il y avait René Lochu qui deviendra ensuite l’ami de Léo Ferré et lui inspira la chanson « Les étrangers » : « C’est pas comme en avril, en avril soixante-huit, Lochu, tu t’en souviens, la mer on s’en foutait, l’an dix mille… Lochu , tu t’rappelles ? »
Tout se jouera pendant la « nuit noire » du 18 septembre 1937. Au-delà du fait d’armes, il y a cette atmosphère de l’avant-guerre, celle du port de Brest, avec sa brume, ses putes, ses ouvriers syndiqués, son camp de réfugiés espagnols, et les arcanes du pouvoir où grenouillent faux diplomates et vrais espions...
Le dessinateur Damien Cuvillier a fait des merveilles pour donner consistance au récit qui se déroule aussi bien en mer que dans les ateliers ou les bouges. Son pinceau donne de l’épaisseur à l’impalpable, à l’indicible, pour peindre Brest autrement que sous la pluie et illuminer les bordels ou les soutes du C2. Comment oublier la belle Mingua et l’agent X10 quand on sait qu’ils existèrent vraiment – et même plus grâce au dossier très documenté (textes et photos d’époque) réuni par Patrick Gourlay, l’auteur du roman Nuit franquiste sur Brest qui inspira cette BD à dévorer de toute urgence.
« No pasaran ! »
Sylvain Chardon