1 CD chez Matcha / Le Grille Pain, Inouïes Distribution.
« Pelouse », c’est plus classe que « gazon », mais cela reste à première vue un concept modeste. Lorsque les Beautiful losers à la Leonard Cohen décrits ici veulent prendre de la hauteur, c’est pour mieux dévaler la montagne en armures bricolées, ou quelquefois, plus tragiquement, pour se jeter dans le vide, convaincuEs d’être des oiseaux.
Une chanson rock des plus iconoclaste
Les saynètes à la fois poétiques et truculentes s’enchaînent, à l’image de ces frites bourrées dans les poches en guise de provisions pour un long voyage, dont le gras coule le long des jambes et empêche d’avancer. Mais pas de misérabilisme cependant. Ces gens-là, qui se débattent dans un monde hostile avec des moyens incongrus à l’efficacité discutable, nous font bien souvent (voire constamment) penser à nous-mêmes. Il est toujours question de « nous » contre « eux », avec lucidité et autodérision mais aussi un irrésistible refus du cynisme. Et même que parfois, heureusement, ça finit bien ; et même qu’on peut danser dessus. L’humour est noir et, si la pochette de l’objet a des couleurs criardes, c’est seulement parce que son contenu est insolite, ce qui n’empêche pas celui-ci de se parer de contours dessinés finement.
Il faut dire que la réussite — autant musicale que littéraire — de ce disque n’est en rien le fruit du hasard, car les (encore) jeunes pousses à l’œuvre ont un pedigree déjà impressionnant. Baignant séparément ou ensemble dans des eaux diverses — entre jazz et musique contemporaine pour faire court —, ces trois musiciens signent sous le nom de Pelouse une chanson rock des plus iconoclaste.
Autant de réjouissance que de justesse
Autour des textes du Grenoblois Xavier Machault 1, nous retrouvons deux membres du collectif orléanais Tricollectif 2. Le violoncelliste/bassiste Valentin Ceccaldi (malmenant régulièrement les co(r)des du jazz avec son frère Théo) et le saxophoniste multi-cartes Quentin Biardeau s’amusent à varier les outils et les sons : percussions, instruments jouets et force synthés enveloppants. Plusieurs invitéEs viennent enrichir le terreau, dont la chanteuse Laura Cahen (superbe Oostende) ou le jamais loin pianiste Roberto Negro (compositeur du tubesque Tout était orchestré).
Nous nous trouvons indéniablement aux antipodes d’une certaine chanson qui, pour se définir comme « à texte » (ce que celle-ci est, sans aucun doute), devrait supplanter son accompagnement musical. Celui-là se révèle créatif, impliqué et cohérent, servant le propos avec autant de réjouissance que de justesse.
On se sent alors invitéE à rejoindre les protagonistes de ces histoires, cette assemblée bancale mais fière. Car si se mettre nu s’avère dans un cas une obligation honteuse pour se débarrasser de toute cette huile de friture suintante, cela peut être aussi juste un projet de vie simple et radical, guidé par l’amour au présent et qui, pour se faire, ne nous donne pas d’autre choix que de détruire des hangars inutiles et laids.
Nus dans les herbes… oui la pelouse est donc bien un ingrédient utile à ce monde-là.
1 – Découvrir ici toute sa très classe discographie : https ://xaviermachault.bandcamp.com/