Publié le Mardi 17 décembre 2013 à 11h58.

C’est pas un cadeau ? Eh bien si ! Morceaux de culture…

De quoi Noël est-il le nom ?

Une semaine avant les vacances scolaires de fin d’année, votre hebdomadaire préféré vous propose une double page culture supplémentaire.  Certains y verront certainement un appel à la consommation et une compromission avec le « grand capital »… Pourtant, et j’espère que nous sommes nombreux à le penser, la culture populaire, la lecture, la musique, sont aussi vitales que la nourriture et le sommeil. Ce sont des facteurs décisifs d’émancipation.Rappelons que ces pages sont ouvertes à toutes et tous, et que jamais personne n’a eu l’idée saugrenue d’envoyer un article vantant le dernier manège de chez Disney, on laisse ça à Sarkozy. Pas plus que de vous dire du bien du projet de Maison de l’histoire de France voulue par le même… Mais il reste un vaste champ de plaisir, de bonheur et de partage pour nous. Passez touTEs une belle fin d’année, et n’oubliez pas que les cadeaux entretiennent l’amitié et l’amour. Et pour ça, pas besoin de date fixe…

Catherine SegalaLivre DVD : La France qui se lève tôt de Hugo Chesnard

éditions Reflets d’ailleurs, 2012, 17 euros.Entretien. Hugo Chesnard est réalisateur. Il a réalisé La France qui se lève tôt, une opérette sociale sur le thème des sans-papiers. Nommé aux Césars 2012, ce court-métrage raconte l’histoire de l’expulsion d’un travailleur sans papiers sous la forme d’une comédie musicale. Musique, chorégraphie, poésie : loin du traitement réaliste, Hugo Chesnard utilise un registre original et projette le débat dans un univers artistique qui permet d’échapper au pathos et au manichéisme. Ce film a rencontré un grand succès dans différents festivals. Un excellent cadeau militant pour Noël.Comment t’est venue l’idée de faire ce court-métrage ?La France qui se lève tôt s’inspire de l’histoire de l’expulsion en 2006 d’un travailleur sans papiers, Souleymane Bagayogo. Avec ses collègues et la CGT du 93, il avait assigné leur direction aux prud’hommes pour protester contre certaines conditions de travail. Et la police est venue les arrêter sur leur lieu de travail.Après un passage dans un centre de rétention, Souleymane a été contraint d’embarquer dans un avion, en direction du Mali qu’il a quitté depuis 10 ans. La CGT s’est mobilisée et a manifesté dans l’aérogare, a informé les passagers. À bord, les protestations des passagers ont empêché l’avion de décoller.La dramaturgie de ce fait divers m’a tout de suite intéressé.Pourquoi avoir traité ce sujet par le biais de la comédie musicale ?J’ai d’abord choisi une trame très réaliste, très pédagogique, qui se rapprochait d’un esprit cinéma vérité. Le problème de cette première version de scénario était simple : tout ce qui était décrit – passage à tabac, condition de rétention, cris et larmes de la femme de Souleymane, caractère brutal des flics – bien que véridique, était insupportable à lire et encore plus à voir. Le pathos de la situation était insurmontable.Puis est venu l’idée de traiter cette histoire sous forme de comédie musicale, de prendre à revers cette brutalité directe de la vie et sortir du pathos pour en faire quelque chose de plus sarcastique.Comment s’est passée la construction du personnage de Souleymane ?Je me suis écarté de la vie du véritable Souleymane pour inventer un expulsé « type » symbolisant le parcours de tous les expulsés. « Je reviendrai et je serai des millions », disait Spartacus. Souleymane est comparable à ce genre de personnage héroïque, qui se soulève même si la réussite est incertaine. Ce n’est pas le résultat qui nous intéresse ici, mais le combat.Souleymane a t-il vu le film ?Par le réseau de militant, j’ai pu retrouver le contact de Souleymane. Alors que nous étions en plein tournage, il m’a appris au téléphone que suite à un combat syndical acharné, il avait gagné le droit de revenir en France pour son procès aux prud’hommes, qu’il avait gagné, et qu’il avait par la suite été régularisé. Le film qui devait se terminer par un carton de fin tragique « Expulsion de Souleymane » venait de gagner deux cartons de fin supplémentaires qui résumeraient cette lutte victorieuse.Une fois le film terminé, Souleymane est venu chez moi voir le film. On est toujours en contact aujourd’hui.Propos recueillis par Thibault BlondinMusique : Mobilisation générale, french protest and spirit jazz 1970-76, Born Bad records, CD 15 euros (disponible en double vinyle).Les bacs des disquaires ont un air de révolte au tournant des années 60-70. Avec l’émergence du free jazz et de toute une série d’explorateurs de nouveaux sons, de nouveaux mélanges des (mauvais) genres. Au cours de cette période, peut-être pour se prémunir d’un public trop esthète, des rencontres ont lieu ou sont provoquées entre musiciens de la mouvance du free jazz et des voix engagées, révoltées.Le label Born Bad a eu l’excellente idée de ressortir une série de ces expériences, qui pour certaines étaient devenues introuvables (déjà à l’époque certaines avaient connu une publicité très restreinte) et de les compiler.On retrouve en particulier l’Art ensemble of Chicago avec Alfred Panou qui clame « je suis un sauvage », ou encore Areski et Brigitte Fontaine déjà bien agités. On réécoutera avec joie François Tusques, un impressionnant pianiste pionnier du free jazz en France qui, avec le collectif le Temps des cerises, interprète « nous allons vous conter… », une sorte de manifeste foutraque contre la circulaire Fontanel (qui voulait lier l’obtention d’un contrat de travail à l’obtention d’un titre de séjour). Si certains titres semblent aujourd’hui un peu naïfs ou grandiloquents, l’ensemble reste assez cohérent et donne à entendre un peu de ce que fut cette période où l’on tentait de bousculer les frontières culturelles politiques et musicalesPour celles et ceux qui n’ont pas jeté leur vieille platine vinyle, l’album est aussi sorti en double vinyle, et il est beau, ce qui ne gâche rien à la fête.Pierre BatonMusique : Roots of ska, USA-Jamaica 1942-1962 : rythm and blues shuffle, Frémeaux & associés, 3 CD, 30 euros.Avant le reggae, il y eut le rock­steady, et avant encore, le ska, la première musique explicitement jamaïcaine, celle qui accompagna l’indépendance de l’île en 1962. Les Waillers gravèrent alors les premières versions sautillantes de certains de leur futurs classiques mondiaux (« One Love », « Put it on », etc.). Mais cette rythmique particulière ne naquit pas de nulle part, elle émergea par lente incubation sonore du bain culturel des sound-system de Kingston. Ces lieux où dans les années 50, toute une jeunesse écoutait les hits r’n’b de La Nouvelle-Orléans et de tout le sud ségrégationniste, qui débarquaient le matin même parfois par bateau. Les « stars » se dénommaient Louis Jordan, T-Bone Walker, Rosco Gordon, etc. ces petits héros oubliés d’un blues fiévreux qui ne s’appelait pas encore « rock’n’roll », et auquel le journaliste Nick Tosches consacra ses plus belles chroniques. Puis certains artistes locaux décidèrent de marcher dans les pas de leurs héros, de livrer un « jamaican shuffle » où les jeunes Bob Marley, Owen Gray ou Cornell Campbell prennent petit à petit leurs marques. On y devine déjà ce petit skank tape cul qui n’a pas fini de faire danser le monde. En 3 CD, ce coffret vous permet donc surtout de comprendre à quel point la musique populaire est d’abord une affaire de « vol sain » et pas de copyright…King MartovLivre enfants : On n’est pas des poupées, Delphine Beauvois et Claire Cantais, La ville brûle, 2013, 13 euros.Parce que, comme le dit l’éditeur, il n’est « jamais trop tôt pour lutter contre les stéréotypes », ce « premier manifeste féministe », joliment illustré de collages mêlant dessins et photos, s’attache à « déconstruire ce qui est attendu des filles dans l’espace social, et ce dès le plus jeune âge ». Il explique aux garçons et filles dès 4 ans que celles-ci n’aiment pas forcément le rose et les poupées, peuvent se défendre seules, parler fort, devenir ce qu’elles veulent… On trouvera également une double page de présentation des grandes figures de la cause des femmes, de Simone de Beauvoir à Rosa Luxemburg, en passant par Olympe de Gouges, Louise Michel ou Angela Davis… Un bon programme pour débuter sa vie !NeïlaThéâtre enfants : Des patates et des roses, Compagnie Jolie Môme.C’est la nouvelle création de la Compagnie Jolie Môme (compagnie théâtrale engagée basée à Saint-Denis) qui s’adresse pour la première fois directement aux enfants (à partir de 6 ans), avec un spectacle qui amusera aussi les plus grands…Des patates et des roses est une découverte ou une ré-appropriation des notions de liberté, d’égalité et de fraternité. Ces valeurs, ornant plus souvent les écoles que les pratiques gouvernementales, sont reléguées au rôle d’enseigne plutôt que d’enseignement, et Jolie Môme a donc décidé de leur redonner vie.La pièce commence dans la cité futuriste de Luminapolis, aux airs de Métropolis, où l’apparente liberté de quelques-uns cache l’exploitation et la soumission de la majorité… Puis c’est à bord d’un bateau que continuera le voyage de trois enfants aux origines différentes, aux envies divergentes, qui trouveront une aspiration commune : vivre heureux et ensemble. Un récit initiatique au côté d’enfants mutins, une heure de théâtre, de chansons… et de subversion !L.B.Spectacle jusqu’au 12 janvier 2014 à La Belle Étoile (14 rue Saint-Just à Saint-Denis). Résa conseillées au 01 49 98 39 20. Plus d’info : www.cie-joliemome.orgLittérature : 1914-1918, la pub est déclarée !, Didier Daeninckx, Éditions Hoëbeke, 2013, 19,50 euros. Auteur de Meurtres pour mémoire et de nombreux romans policiers, Didier Daeninckx nous convie cette fois à une étrange histoire qui a pour théâtre la guerre de 14. Alors que son fiancé Jules est parti vers le front, parmi les soldats mobilisés le 3 août 1914, une jeune femme est engagée chez Siècle Publicité. Secrétaire de formation, elle n’y connaît rien et va apprendre le métier : « transformer le spectacle du quotidien en puissance de vente ».Cette histoire nous fait découvrir à travers ce « spectacle quotidien » un aspect bien particulier de la guerre, alors qu’à l’arrière, la machine capitaliste à faire des profits tourne à plein rendement. Pas seulement pour les fabricants d’armes mais pour tous les produits nécessaires à la vie quotidienne comme pour ceux auxquels la guerre donne une nouvelle importance. Susciter le besoin, donner envie d’acheter joue de la corde sensible du patriotisme le plus stupide.À travers son récit richement soutenu par les illustrations publicitaires authentiques de l’époque, Daeninckx ridiculise le patriotisme économique, cette guerre de la publicité, tout en faisant revivre, non sans émotion, une époque, ses drames, ses souffrances, ses ridicules. Ces réclames sont autant de témoignages d’une ironie mordante : mieux le soldat sera équipé ( « Bretelles Bayard, sans peur et sans reproche, Jusqu’au bout...elle a tenu... »), soigné ( « L’Urodonal dans les tranchées»), ou réconforté avec des boissons chaudes (tel le cacao au lait Eleska), plus vite il gagnera la guerre. « Envoyez à nos chers Soldats un porte-plume-réservoir Onoto pour faire leur correspondance », « Lip..Lip..Hourra ! La montre de la victoire »... « Ne prenez que l’Aspirine Usines du Rhône pure de tout mélange allemand »... La guerre fait vendre, y compris des produits destinés aux « gueules cassées ».Quand le fiancé Jules revient de la guerre, non sans graves séquelles, commence une autre histoire : « J’avais fait mes premières armes en vendant la guerre. J’allais voir maintenant si j’étais capable de vendre la paix »... Un regard original, d’une ironie féroce mais aussi émouvante, sur la vie quotidienne durant cette terrible boucherie impérialiste.Yvan LemaitreEssai : Cuba Grafica, histoire de l’affiche cubaine, Régis Léger, Éditions l’échappée, 2013, 34 euros.Le graphisme cubain a une histoire, et cette histoire ne se résume pas aux années de la révolution cubaine. C’est ce que nous démontre ce livre publié par les excellentes éditions l’échappée. Ce volume présente un siècle de graphisme cubain, une école surtout marquée par l’arrivée de la sérigraphie dans les années 40.On trouve une iconographie copieuse et rare qui illustre la façon dont on communique par l’image. On y retrouve évidemment une série d’affiches politiques, peu ou pas connues, qui dépassent largement la cause cubaine (les affiches de solidarité internationale des années 60 et 70 sont particulièrement stimulantes). On trouve aussi une série d’affiches de cinéma ou de propagande institutionnelle. Dans sa dernière partie, l’ouvrage s’intéresse à la nouvelle génération de graphistes qui émerge dans les années 90. Si une partie d’entre eux ne vit plus sur l’île, on voit à quel point Cuba a fait école. Très bien édité, ce livre propose une somme inédite jusqu’à aujourd’hui.Pierre BatonEssai : Columbo, la lutte des classes ce soir à la télé, Lilian Mathieu, Éditions Textuel, 2013, 13,90 eurosColumbo en héros du mouvement ouvrier ! Lilian Mathieu est un sociologue sérieux, connu pour ses travaux sur les mouvements sociaux ou sur la prostitution. Son dernier ouvrage a de quoi surprendre, car cette fois-ci, c’est l’inspecteur Columbo qui est l’objet des investigations du sociologue.Incarné de 1968 à 2003 à la télévision par Peter Falk, l’inspecteur devient un objet d’étude. Cet inspecteur à l’allure modeste, sa vieille guimbarde (une Peugeot 403 hors d’âge), son impair élimé, ses cigares bon marché… Tout cela contraste avec les conditions dans lesquelles vivent les personnes sur lesquelles il enquête : villa de luxe, yacht, grosses voitures, personnel de maison, chiens de race…Il y a évidemment une dimension ludique, et un plaisir de lecture, à voir se développer autour d’un objet de fiction, tous les instruments d’analyse et de critique de la fine fleur de la sociologie (Bourdieu, Boltanski, Pinçon-Charlot…).Au final l’auteur, à travers ce personnage d’un inspecteur modeste, le plus souvent symboliquement et socialement dominé par les gens sur lesquels il enquête (mais qu’il finit par démasquer et envoyer en prison), fait l’hypothèse d’un Columbo incarnant une « mise en scène de la revanche de classe ».Pierre BatonThéâtre : Parole de mutins, Compagnie Jolie Môme.Tous les vendredis, vous êtes accueillis par les comédiens et techniciens de Jolie Môme à 19h à La Belle Étoile, leur théâtre de Saint-Denis : apéritif, repas, puis 1h30 de chansons. Quelques tout nouveaux morceaux, des reprises, des « classiques » du répertoire de la Compagnie Jolie Môme, partagés ici entre amis.L’esprit frondeur de Jolie Môme, sa vision de l’actualité et ses références historiques, la complicité avec le public, l’irrévérence... et la fraternité : voilà ce que la troupe de chanteurs, comédiens et musiciens propose dans « Parole de Mutins » ! Insoumission des pirates ou des soldats, absurdités du monde et espoirs des hommes, refus des expulsions, hommages, clins d’œil et pieds de nez... De ce spectacle s’échappe une brise d’insoumission, un souffle de mutinerie.Et chaque soir, unE intervenantE de la vie sociale et politique s’introduit dans le spectacle... Pas de meilleur moyen d’enterrer 2013 et de préparer du bon pied la suivante !L.J.M.Dîner-spectacle jusqu’au 20 décembre à La Belle Étoile (14 rue Saint-Just à Saint-Denis). Résa obligatoires au 01 49 98 39 20. Plus d’info : www.cie-joliemome.orgExpos photos : Ralf Marsault/Horpe AreaAu-delà d’un verbiage habituel aux présentations des expositions auquel les artistes eux-mêmes n’échappent pas, le travail du photographe et anthropologue Ralf Marsault – rendu célèbre par ses portraits de la marginalité : punks, skinheads, travellers – est aujourd’hui plus esthétique, même s’il ne le revendique pas, et met en scène dans la nature des sculptures, statuettes et tissages cérémoniels. Pour ceux qui sont dans la capitale pour cette fin d’année, ne pas oublier que le quartier du Marais fourmille de ces galeries pointues et que contrairement aux musées, leur entrée est gratuite.Catherine SegalaGalerie Coullaud et Koulinsky, 12 rue de Picardie Paris 3e, jusqu’au 11 janvier 2014.Expos photos : Raymond Depardon : un moment si doux L’exposition présente près de 150 photographies en couleurs, la plupart inédites. Chez Raymond Depardon, la couleur est liée à l’enfance. Ses premières images sont celles de sa mère, des animaux de la ferme de ses parents, du tracteur rouge, de la toile cirée dans la cuisine. Il n’a pas encore 20 ans quand « il monte » à Paris. Il s’installe dans l’arrière-boutique d’un photographe de l’île Saint-Louis où il se photographie sur son scooter. Il devient photographe reporter, et photographie Édith Piaf. On l’envoie en Afrique, il découvre le monde. Depuis, la couleur accompagne sa curiosité.Dans les années 70 et 80, Raymond Depardon travaille pour de grandes agences : Dalmas, Gamma, Magnum. Au Chili en 1971, à Beyrouth en 1978, à Glasgow en 1980, il ne cherche pas l’événement mais ce qui se passe autour, dans les marges. Ce sont des reportages fondateurs.Chili 1971 : deux ans avant la mort de Salvador Allende, il photographie les indiens Mapuches qui luttent pour vivre sur la terre de leurs ancêtres.En 1978, c’est à Beyrouth qu’il choisit de prendre ses distances avec le reportage, et ne photographie pas la guerre civile mais ses conséquences. Raymond Depardon y reste un mois. Son reportage fera le tour du monde. MiloGrand-Palais, 3 avenue du Général-Eisenhower, Paris 8e, jusqu’au 10 février 2014

Dossier coordonné par Catherine Segala