À l’occasion de deux expositions, nous voudrions attirer l’attention sur le MAC VAL de Vitry-sur-Seine, un des rares musées d’art contemporain implantés en banlieue parisienne.
« Conjurer l’horizon », de Marina De Caro
Artiste en résidence au MAC VAL, de mai à août 2024
L’exposition de l’artiste argentine Marina de Caro, issue d’une résidence dans le cadre des JO 2024, montre une œuvre qui va paradoxalement à l’encontre de l’idéologie olympique et de son instrumentalisation par le pouvoir : une gigantesque fresque où les corps, nimbés dans le jeu subtil et impétueux de la couleur, s’entremêlent jusqu’à s’indéfinir. Les êtres se croisent et s’éprouvent dans ce qui serait un monde où la représentation est diluée dans les limbes de la peinture et un univers propre au registre de la cosmogonie. S’y mêlent un dynamisme de la couleur et une énergie du trait et de ses linéaments constituant un espace autant liquide qu’aérien, propre aux espaces de mutations et de métamorphoses. Elle offre échos et correspondances d’un plan à l’autre : du mural, avec ces figures qui campent entre apparition et réminiscence, avec ces zones d’intensités ou au contraire de dilution où nous sommes face à ce qui relève autant d’une sorte de placenta pictural que de son cosmos… au sol, avec un réseau de fils d’or, cheveux mythologiques ou rhizomes qui recouvre des volumes ovoïdes, entre l’organique et le minéral, évoquant quelques noyaux qui sont autant cocons que magma.
Le tout s’accompagne d’un ensemble de papiers associant mots couleur et mis en écho avec des extraits de lettres d’Olympe de Gouges. Ils sont des espaces d’inscription dont la simplicité apparente, le caractère délibérément lacunaire et fragmentaire leur donnent la fraîcheur d’un éclat et la lumineuse présence d’un souvenir résistant à sa disparition. Avec une insistance ténue, ils sont l’incarnation graphique, textuelle et chromatique de ces retrouvailles avec le passé persistant d’une utopie.
Ils sont aussi quasi-palissades, plans ou ciels colorés où se déploient des écritures associant d’un ou quelques mots, éros et mythologie, utopie et véhémence ou encore l’humanité et ses figures faisant surgir l’autre moitié du monde. Des artistes de cette ampleur et de ce souffle manquaient à la Biennale de Venise.
« L’œil vérité », le musée au second degré
Au MAC VAL, du 13 mai 2023 au 5 janvier 2025
Nous est présentée une remise en jeu et en éclairage stimulants de la collection du musée ; sous le regard et la lecture de son directeur Nicolas Surlapierre. Elle est passionnante par ses partis pris, jusque dans les discussions qu’ils peuvent susciter.
On peut apprécier ainsi la remise en visibilité d’œuvres injustement « mises à l’ombre », comme cette sculpture de Delfino judicieusement sortie des réserves du musée ou encore une magnifique installation picturale de Jean-Claude Silbermann. Son enrichissement récent en cours d’exposition illustre bien comment l’abstraction dialogue, voire se marie avec la figuration. Les œuvres sont riches de ce matériau qu’est le réel et des connexions avec les matières objets et paysages contemporains : la palissade de Dolla, les fenêtres de P. Buraglio, les matériaux de chantier pour Jacques Monory ou Bernard Pages, la toile brute et la peinture de chantier pour Viallat, le mobilier autoroutier pour Klasen et sa surface pour Ballet, l’affiche et ses outrages pour Hains ou Dufrêne ou encore l’objet chez Stämpfli ou Brisse). Mais aussi les fureurs et désastres du monde pour Manessier, Monory, Rancillac ou Velickovic.
Sa réussite est encore de nous faire découvrir l’essence de l’art dans l’élémentaire d’un geste, d’une matière ou la déconstruction des appareils de la peinture et des outils de l’art comme Degottex, Dezeuze, Gronon ou Bellegarde. Et il y en a des dizaines d’autres à voir et découvrir.
Cette exposition permet de multiples relations possibles : associations suggérées, surprises ou étonnements stimulants. Même si quelques choix d’accrochage (un Horsphère de Degottex trop haut ; un Bellegarde noyé dans Dubuffet) me gênent un peu, elle offre au visiteur une belle plongée dans l’art de notre temps avec des choix qui savent ne pas se soumettre au goût du moment, voire à l’air du temps. Exceptionnel ! À voir absolument.
Philipe Cyroulnik