Avec Lyes Salem, Khaled Benaissa et Djemel Barek. Sortie le mercredi 19 novembre.
Cette fiction réussit, à travers l’histoire de trois amis, à planter les grandes étapes de l’histoire de l’Algérie de 1957 à 1987 : de l’engagement dans le combat pour la « révolution nationale » à la dictature d’un pouvoir rejeté par la population (le film s’arrêtant à la veille du soulèvement de la jeunesse de l’automne 1988).
Avec pas mal de finesse, des touches d’humour parfois un peu désespéré (à la manière de Roberto Benigni), l’histoire, portée par les rythmes arabo-andalous des cabarets d’Oran, fait partager l’âpreté de l’engagement, l’enthousiasme de la victoire et des lendemains à construire, puis les doutes et les mécanismes conjugués du pouvoir, de la corruption et du mensonge, qui minent peu à peu de manière différenciée les trois amis.À travers Djaffar, on entrevoit les conditions qui ont amené des dizaines de milliers d’AlgérienEs à basculer du soutien passif et craintif au FLN à l’engagement total dans le combat pour l’indépendance. Dans cette guerre, Djaffar est commandant de maquis en Kabylie tandis que son ami Hamid devient un des représentants du FLN auprès des ambassades plus ou moins officielles et des institutions internationales.À l’indépendance, l’un devient ministre installé dans la superbe villa (bien vacante) d’un richissime colon, avec sa jeune femme militante américaine des droits civiques, tandis que l’autre, représentant local du gouvernement, est chargé de relancer l’exploitation du bois (son ancien boulot) et vit dans une maison bien plus modeste. La force de leurs liens ne se dément pas. Au contraire elle se renforce avec la fondation d’une mythologie de l’héroïsme du moujahid (combattant) Djaffar et du martyr de sa jeune femme fondée sur un mensonge. C’est la déclinaison locale de l’édification du mythe du parti unique que conteste Farid, le 3e de la bande, qui ne veut pas abdiquer de leurs rêves communs.
Vie brûléesLa bureaucratisation, l’arabisation forcée, sont évoquées par petites touches d’humour, alors que les différentes formes de corruption de ces hommes de l’appareil du FLN, devenu appareil de l’État, sont perceptibles à travers diverses situations souvent touchantes et dramatiques de leur vie personnelle.Un film qui met en scène des vies brûlées par l’incandescence d’une période et d’un pays, l’Algérie, filmés avec infiniment de sensibilité et de chaleur. Des hommes, dont la vie se confond avec les souffrances d’un combat, et qui laissent leurs empreintes indélébiles après la victoire, puis avec l’exercice sans aucun contrôle du pouvoir, dans ce pays où, comme le dit un des personnages, la colonisation n’a « laissé que des photos, des pierres et des cimetières »...À ne pas manquer donc, d’abord parce que c’est un des rares films sur le sujet, et ensuite parce que c’est une vraie réussite du réalisateur franco-algérien qui explique avoir travaillé à reconstruire les perceptions et sensations de son enfance. Et il y a réussi !
Cathy Billard