Amory Gethin, Clara Martínez-Toledano et Thomas Piketty. Éditions EHESS/Gallimard/Seuil, 590 pages, 25 euros.
Thomas Piketty et son équipe publient un nouvel ouvrage dans la lignée des travaux sur les inégalités sociales au 21e siècle. L’objectif, cette fois-ci, est de décrire l’importance de l’appartenance aux classes sociales et des facteurs « identitaires » dans les positionnements politiques électoraux, à partir d’une énorme étude internationale sur le long terme. Pour cela, ils puisent dans une nouvelle base de données d’enquêtes électorales qui couvrent 50 pays entre 1948 et 2020. Ambitieux projet !
Beaucoup de données, mais des interprétations discutables
Le résultat est conséquent (un pavé de 600 pages), mais les conclusions ne dévoilent rien de très original, et les interprétations finales sont peu convaincantes. Au-delà d’un grand nombre de descriptions riches en informations sur les caractéristiques sociales (âge, diplôme, revenu…) et « identitaires » (origine, religion…) des électorats des blocs de droite et de « gauche » (notion très vague dans leur conception qui inclut même les Verts allemands…), un des arguments centraux est le basculement historique à un « système d’élites multiples », où les partis conservateurs continuent de représenter les puissants, et les partis socio-démocrates sont les partis de ce que Piketty appelle une « gauche brahmane » (les diplômés). Où sont les autres ? Les travailleurEs et les classes populaires ? Pas de nouvelles du front.
En fait, le principal défaut du livre est le manque d’un cadre théorique bien défini. Par exemple, la classe, ou les « facteurs classistes » (leurs termes), est notamment réduite à une variable de revenu et de patrimoine, sans enjeu de rapport de pouvoir, ni lien avec ce système d’exploitation ; et s’en suit une série de concepts vagues et flous. Un autre problème est qu’avec cette approche macroéconomique statisticienne de la politique, on n’apprend pas grand-chose sur le rôle des partis dans les développements dont ils parlent, sur les politiques qui ont mené à la situation de crise du capitalisme qu’on traverse, ou sur l’accroissement des inégalités qui va avec. La lutte de classe apparait difficilement sur les stats, mais elle n’est pas moins réelle pour autant.