La Découverte, 2024, 384 pages, 22 euros.
Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla étudient un pan souvent méconnu de la politique française africaine : les élections. L’ouvrage analyse en détail comment la France utilise et manipule les scrutins dans le seul objectif de maintenir sa domination. Sous la colonisation, l’enjeu était de limiter le poids électoral des autochtones. Consciente ensuite que la question de l’indépendance des pays africains ne pourrait être évitée, « la France aura donc finalement utilisé les élections pour fabriquer, sélectionner une élite dirigeante dotée d’un double profil bien caractéristique : une légitimité populaire souvent douteuse et une posture de dépendance vis-à-vis de l’ancienne métropole. » Un procédé de fabrication usant de fraude électorale et d’élimination des opposants qui sera repris par les potentats africains avec la complicité de l’ancienne puissance coloniale. Comme le soulignent les auteurs, la mise en place de la 5e République en France a permis d’octroyer au président un pouvoir sur les affaires africaines se révélant sans partage et sans contrôle. Désormais les pays du pré carré connaîtront une « démocratie de basse intensité ».
Eugénisme électoral au Sénégal
L’ouvrage nous offre une étude détaillée des méthodes qualifiées d’« eugénisme électoral », avec l’exemple du Sénégal. Elles permettront l’élection en 2019 de Macky Sall. Ce chapitre se révèle d’autant plus prenant que la même opération se réitère sous nos yeux pour les élections de cette année.
L’analyse du lien entre démocratie et libéralisme économique, qui accompagnera les politiques d’ajustements structurels ôtant tout réel pouvoir aux politiques, explique en partie le soutien dont peuvent bénéficier les auteurs des récents coups d’État en Afrique. L’ouvrage se termine par un questionnement sur la démocratie comme point d’appui à « un projet de libération humaine » avec le concept de « démocratie substantive ». Une notion aussi bien utilisée par le philosophe marxiste István Mészáros, un des animateurs de l’École de Budapest, que par Achille Mbembe, un temps pourfendeur de la Françafrique, qui a décidé d’accompagner la politique africaine de Macron.
Un ouvrage passionnant qui séduira au-delà du cercle (trop) restreint des personnes intéressées par l’Afrique.
Paul Martial