Film franco-belge, 1 h 41, sorti le 2 juin 2021.
Plus d’un million d’« appelés » ont dû effectuer leur service militaire alors obligatoire en Algérie. Leur nombre a progressivement augmenté entre 1954 et 1962 : à la fin, ils étaient un demi-million pour un service militaire de 28 mois. Parmi eux, environ 12 000 ont refusé d’y aller. D’autres ont participé à des actions de protestation dans les trains qui les amenaient vers Marseille où ils devaient s’embarquer : selon le ministère de l’Intérieur, un train d’appelés du contingent en Algérie sur cinq a fait l’objet de troubles au printemps 1956, estimation sans doute inférieure aux chiffres réels, selon des historiens. Les militants trotskistes ont, avec d’autres, soutenu ces actions.
Un film à « ras de bidasse »
Mais la grande majorité a fini par y aller, sans enthousiasme. Ce sont ceux-là qui constituent les personnages du film de Belvaux, film qui vient après Chez nous consacré à l’extrême droite. Le film est inspiré d’un roman de Laurent Mauvignier. Dans un gros village de l’Est ou du Nord de la France, au début des années 2000, vit dans la misère un marginal surnommé Feu-de-bois en raison de l’odeur qu’il répand. En fait, il s’appelle Bernard et a fait partie de ces appelés. Sa vie est un échec et il n’a jamais réussi à s’en remettre mais aussi de ce qu’il avait vu et fait en Algérie au « nom de la France » : ratissages, destruction de villages et de récoltes, exécutions sommaires, viols, tortures… Son cousin Rabut est lui aussi hanté par ses souvenirs mais il n’en a jamais parlé comme les autres anciens combattants du village : ils font un méchoui annuel mais restent silencieux sur la réalité de ce passé.
Feu-de-bois va déclencher la crise en faisant irruption au pot de retraite de sa sœur où il insulte tout le monde et ensuite, complètement saoul, en s’attaquant à la famille de l’unique « Arabe » du village, Chefraoui, jusqu’à essayer de violer sa femme. Durant l’essentiel du film, les principaux personnages ne parlent pratiquement pas, la bande-son est faite de leurs réflexions. Feu-de-bois fait tout remonter à la surface : le passé et le présent, comme ce moment où il fallait désigner un délégué du personnel dans l’entreprise où travaille Chefraoui. Personne ne voulait le faire. Chefraoui a fini par se proposer pour rendre service. Immédiatement, alors, quelqu’un d’autre a dit qu’il allait le faire et personne n’a rien dit…
C’est un film à « ras de bidasse ». C’est sa force : il montre ce que les appelés ont vu et ont été amenés à faire. C’est peut-être aussi sa faiblesse. Le système colonial est largement absent de même que les responsabilités des gradés et politiciens français. Les appelés ont peur de ce que les « fellaghas » peuvent faire mais la torture systématique d’unités spécialisées de l’armée française n’est pas montrée.
Mais, servi par d’excellents acteurs et actrices (Darroussin, Depardieu, Catherine Frot et d’autres), ce film est un utile rappel de ce qu’a été la sale guerre menée par l’armée française, guerre qu’on a mis longtemps à nommer (à l’époque, le terme officiel en France était « évènements d’Algérie ») et de son impact sur des milliers d’« hommes ».