Entretien. Depuis des semaines, Yannis Youlountas est en « tournée » pour présenter son dernier film Je lutte donc je suis. Le rythme est intense avec des séances tous les jours, sur tout le pays mais aussi en Belgique, en Suisse ou à Alger (festival du film). Nous nous sommes entretenus avec le réalisateur sur son film et sur la situation actuelle en Grèce.
Parles-nous un peu de ton film ?
Comme mon précédent film Ne vivons plus comme des esclaves, il s’agit de raconter le mouvement social nous-mêmes, en tentant de le faire le plus authentiquement possible en faisant témoigner des militants, des personnages plus ou moins connus. Il est question de nos luttes en Grèce et dans l’État espagnol.
L’objectif est de faire converger trois courants majeurs de la lutte : la gauche politique, les milieux révolutionnaires et les écologistes. Il y a des personnages connus partie prenante des résistances comme Eric Toussaint, porte-parole du Comité pour l'annulation de la dette du tiers monde (CADTM), Gabriel Collets, économiste franco-grec anti libéral, Juan Gordillo maire de Marinaleda, Diego Cameron, porte-parole du Syndicat des travailleurs andalous (SAT), des militants de courants révolutionnaires comme les anarchistes et marxistes autogestionnaires, des militants de la CGT et de la CNT espagnoles, des militants écologistes radicaux comme des zadistes en Grèce, notamment des militants contre les chantiers d’éoliennes industrielles géantes de EDF en Crète. Ce sont toutes ces résistances, ces gens qui luttent, dont je veux raconter l’histoire.
Comment s’est monté le film ?
Ce film existe grâce au mouvement social, grâce à la solidarité et à la participation bénévole de beaucoup de gens. J’ai essayé de faire parler autant de gens un peu connus que des gens inconnus. De nombreux musiciens français, grecs et espagnols ont fait des chansons pour le film, dont Angélique Ionatos et Manu Chao. La famille de Léo Ferré nous a confié deux chansons, ainsi que celle de Pavlos Fyssas alias Killah P, rappeur grec assassiné le 18 septembre 2013 par les néonazis d’Aube dorée.
C’est aussi un film solidaire : chaque diffusion du film est l’occasion de vendre des DVD, livres et affiches. Le but est de récolter de l’argent pour financer de nombreuses initiatives, par exemple un dispensaire médical et un centre social autogéré à Athènes, l’équipement d’une occupation par les migrants (Notara 26), une HLM autogérée qui accueille des centaines de migrants, des cuisines sociales participatives, le forum des migrants de Crète, et payer des cautions pour faire libérer nos camarades en attente de jugement pour des actions de désobéissance. Il y a aussi une solidarité en direction de l’Espagne, comme le financement d’un convoi alimentaire pour les 150 familles de Sanlucar qui occupent 16 immeubles appartenant à des banques.
Comment le public accueille-t-il ton film ?
Les salles sont pleines presque partout. L’ambiance est marquée par l’émotion car c’est un film passionné. On a besoin de la sensibilité pour comprendre le monde et de la passion pour agir, il n’y a pas que la raison. Le film essaie de transmettre la passion de lutter, de ne pas baisser les bras. La lutte est un grand moment de fraternité, mais ce n’est pas non plus de la guimauve. On sait qu’il faut un rapport de forces, qu’il faut résister et créer à la fois. Pour moi, lutter c’est être amoureux. Amoureux de l’utopie. Amoureux de ceux qui luttent avec nous. On essaie de réinventer le monde ensemble. C’est pourquoi je me méfie de l’ostracisme envers ceux qui n’ont pas la même étiquette politique à la condition qu’ils luttent pour l’humain, la vie, la Terre. La radicalité se voit dans les actes et pas dans les étiquettes. Qu’on ait des façons d’agir différentes, c’est très bien, évitons de tomber dans le dogmatisme et le sectarisme qui nous minent. L’émotion vient aussi des chansons qui touchent les gens. La plupart des chansons sont des créations pour le film. Il n’y a pas de révolution sans chanson.
Quelle est la situation en Grèce aujourd’hui qui est beaucoup moins médiatisée depuis la fin de l’été ?
On vient d’avoir plusieurs grèves générales le 12 novembre et le 3 décembre. Il y a eu les émeutes du 17 novembre pour l’anniversaire de l’insurrection contre la dictature des Colonels, puis le 6 décembre pour l’anniversaire des émeutes de 2008. La situation est marquée par de nombreuses manifestations, occupations et blocages, émeutes, ouvertures gratuites d’autoroutes par les ouvriers en lutte, et des collectifs de salariés poussent les syndicats à aller plus loin. Il y a beaucoup d’assemblées dans les villages, dans les quartiers...
Depuis le 13 juillet, Tsipras a fait exactement et totalement le contraire de ce à quoi il s’était engagé : il a capitulé en signant la mise sous tutelle de la Grèce et la mise en esclavage de son peuple, et le pillage de ses richesses. Même sur le plan militaire et géo-stratégique, Tsipras a signé le 20 juillet un accord militaire avec Israël (Sofa) qui permet d’utiliser toutes les bases militaires du partenaire et réciproquement. à cela s’ajoute la criminalisation du mouvement social. Le Parlement est redevenu un bunker. La TVA sur les produits de première nécessité a encore augmenté. Les retraites sont encore diminuées. Enfin le code du travail et d’autres acquis sociaux sont encore malmenés. Ceux qui parmi la gauche en France continuent de soutenir Tsipras soutiennent en réalité un gouvernement de collaboration et de droite dure.
Quelles perspectives aujourd’hui du côté de la résistance de la population ?
Ce qui s’est passé il y a cinq ans sur la rive sud de la Méditerranée comme en Tunisie peut tout à fait se reproduire sur la rive nord dans les temps qui viennent. Après 7 ans de lutte, d’expériences, de créations d’alternatives, d’autogestion, d’expériences démocratiques nouvelles et directes, le mouvement social et révolutionnaire reste encore en capacité de proposer une alternative d’envergure. Tout est loin d’être terminé en Grèce : tenez bon, vous n’êtes pas au bout de vos surprises !
Propos recueillis par Philippe Poutou