Simon Panay est documentariste. L’Anticapitaliste a présenté son dernier film, « Si tu es un homme », dans le n° 650 du 23 février 2023. Entretien avec un passionné de l’Afrique de l’Ouest.
Un garçon de dos suivi par la caméra. Ainsi commencent tes deux derniers films...
Dans les deux cas1, c’est une façon d’entrer sur le terrain avec le personnage. Il s’agit à chaque fois du site d’une mine d’or. Mais si le langage est le même, l’intention est différente. Dans un cas, entrer avec le personnage, c’est pousser le cadre avec lui : cela matérialise le garçon qui maîtrise. Dans l’autre, il s’agit plus de montrer la mine et son ambiance.
Avec Opio, dans mon dernier film, on est pris dans le paradoxe d’un garçon qui, à la mine, mène une vie autonome — sa vie propre — alors qu’au village, il est dans la situation d’un enfant dépendant de ses parents, silencieux et soumis. La descente au fond est comme un rite initiatique qui lui fait peur mais qu’il affronte « comme un homme ».
On peine à croire que ce film, « Si tu es un homme », soit vraiment un documentaire…
Opio, le personnage du film, est un personnage romanesque, c’est sûr. La réalité l’est aussi. L’or, la mine, le danger, la survie ! La vie est une épopée, une odyssée. Opio a un objectif, rencontre des obstacles qu’il doit surmonter, affronte le danger : tous les ingrédients du romanesque...
Je cherchais un personnage, Opio s’est imposé. Je ne savais rien de lui, mais quand on a du temps, quand on prend le temps, on peut veiller à ne pas rater les occasions qui se présentent. On sait où on est, on ne sait pas où on va. Il n’y a pas d’écriture, mais peu à peu émerge un fil narratif.
C’est quoi ton problème avec les mines d’or ?
C’est de la fascination [rires] ! Les mines d’or en Afrique de l’Ouest, c’est un univers de mythologie, de croyances. L’or est considéré comme un animal qui se nourrit du sang et de la vie des hommes, ce qui fait que lorsque survient un accident, un sentiment ambivalent règne. C’est l’aventure, un univers sans foi ni loi, le Far West.
La mine de Perma, au Bénin, est une mine illégale, et ceux qui profitent vraiment sont les intermédiaires qui veulent toucher l’argent sans payer le prix politique de la mort des mineurs. Le jour où nous avons discuté avec les « responsables » du site et de l’État, il y avait eu un mort. Nous ne pouvions pas faire comme si de rien n’était. Nos questions insistantes ont mis fin à notre présence sur le site !
La mine de Perkoa, au Burkina, est en revanche une mine d’or légale, où chaque patron paye la concession qu’il exploite sur le site. Il engage son personnel, rémunéré en sacs de cailloux ! Dans tous les cas, on peut se demander pourquoi les gens restent, pourquoi ils ne partent pas, alors qu’ils disent ne rien gagner. C’est comme une addiction, ils pensent toujours que la prochaine fois sera la bonne, celle où ils vont tomber sur un filon... C’est comme la Ruée vers l’or.
Quelle est la place des Blancs dans tes films ?
D’abord, en tant qu’Européen blanc, il faut prendre son temps. J’ai passé beaucoup de temps en Afrique de l’Ouest, particulièrement au Burkina Faso. Pour les films, nous avons discuté longtemps, notamment sur les mines (un mois et demi) avant de commencer à tourner. C’est une forme de négociation, et quand on commence à maîtriser les codes, on risque moins de faire des impairs, et on est accepté. On ne devient pas transparent, car on fait partie de la situation, mais on ne rencontre plus de méfiance. En outre, l’essentiel de mon équipe est locale, et mon inspiration vient d’un documentariste burkinabè, un ami maintenant, Souleymane Drabo, qui m’a donné des éléments de compréhension.
« Tontines, une affaire de femmes » est-il un film à part ?
C’est un film qui met en scène des femmes, des groupes de femmes2. C’était mon premier documentaire. On a essayé et appris pas mal de choses, notamment qu’avec deux caméras on dilue le propos. C’est un film plus gai et coloré que ceux sur l’univers des mines, et les femmes présentes à l’écran — encore une fois l’équipe de tournage n’est pas transparente — nous ont fait « des cadeaux » en se mettant en scène elles-mêmes, pour nos caméras.
D’un film à l’autre, quel est le propos de ton œuvre ?
Ce qui fait l’unité de tous ces films3, le trait commun, c’est la démarche. Mes films se ressemblent par leur approche de la réalité. Être curieux, comprendre. L’Afrique de l’Ouest est un univers fascinant. Nous voulons restituer quelque chose de la réalité, sans juger, sans morale occidentale. Rendre compte de la grâce, de la lumière, être le plus humain possible, que ce soit dans le monde des femmes, bienveillant, coloré, plus joyeux, ou dans l’univers plus sombre et grave des hommes des mines d’or.
Propos recueillis par Claude Moro
Il est possible de faire venir les films de Simon Panay afin d’organiser des projections, dans un cadre associatif. Le réalisateur peut se déplacer pour les présenter.
Contact : programmation@jhrfilms.com