Publié le Mardi 2 février 2016 à 08h24.

Essai : Discriminations : combattre la glottophobie

Philippe Blanchet, Textuel, 2016, 14,90 euros. 

En 2012, Philippe Blanchet, professeur de sociolinguistique à l’université de Rennes, expert en politique linguistique et éducative (Agence universitaire de la francophonie, Organisation des Nations unies, Conseil de l’Europe) et militant à la LDH, animait à l’Université d’été du NPA, un atelier nommé « Discriminations linguistiques et discriminations sociales : combattre la glottophobie »...

Trois heures de débat sur cette question, ses ancrages historiques et idéologiques, ses manifestations multiples à l’école, à l’université, à l’embauche, au logement, à l’accès aux titres de séjour et à la nationalité française. À la sortie de l’atelier, nous étions quelques-unEs à demander à Philippe Blanchet où on pouvait trouver une synthèse « grand public » de ses travaux universitaires sur la glottophobie. Voilà chose faite avec, en prime, des témoignages analysés de victimes de la glottophobie.

Mais, la glottophobie, quésaco ? Le fait de discriminer des personnes en fonction de leur langue ou de leur façon de parler une langue. Par exemple, celui ou celle qui parle algérien ou qui a un accent populaire, souvent coloré des influences d’une langue régionale ou « de l’immigration », est sous-titré dans les émissions télé. Et, dans sa vie scolaire, sociale et professionnelle, il/elle est invité à assimiler le modèle linguistique des dominants comme préalable à son accès à l’égalité : un accent, un vocabulaire, une syntaxe Neuilly... bref une autre langue, sans corps, sans histoire, sans contacts et loin du peuple.

Discriminations linguistiques

Rarement discutées dans le paysage discursif politique français, globalement jacobin et attaché à une langue unique dans sa version standardisée et aseptisée, ces discriminations linguistiques restent ignorées et, avec elles, celles et ceux qui les subissent. Pire, les discriminations fondées sur des aspects linguistiques, pourtant condamnées par des textes internationaux de protection des droits de la personne,  sont globalement acceptées par les dominéEs (l’auteur, s’appuyant sur Gramsci, parle d’ailleurs d’hégémonie). Cela permet aux dominants de conserver leurs privilèges à différents niveaux de la société, aux postes de pouvoir et dans l’espace médiatique (on trouve dans l’ouvrage un témoignage de Philippe Poutou, victime de cette glottophobie lors de son passage dans une émission télé de L. Ruquier).

La glottophobie se déploie et se reproduit à  l’école : les enseignantEs, non conscients des enjeux de l’imposition d’une langue unique et d’une façon unique de parler construisent, malgré eux/elles, des discriminations et des représentations glottophobes. L’ouvrage permet ainsi de comprendre comment s’est développée et se maintient dans de nombreuses sociétés, et en particulier en France, une glottophobie banalisée et institutionnalisée. L’objectif est de susciter des vigilances face aux discriminations linguistiques, de saisir leurs conséquences humaines, sociales, éthiques et politiques. 

Pourtant, comme le propose cet ouvrage, d’autres conceptions des langues peuvent être enseignées sans nuire à l’intercompréhension et au faire ensemble. Des conceptions ouvertes à l’altérité, à la différence, au tissage et au métissage. Elles contribueraient à construire un autre monde, libérant les locuteurs/trices de leurs peurs de « mal parler » et de « mal écrire », pour s’autoriser à prendre la parole et la plume dans l’espace public. Avec cet ouvrage, Philippe Blanchet offre des arguments solides (la rigueur scientifique est là et le jargon évité) pour se défendre contre les agressions glottophobes et envisager un autre ordre linguistique, et donc politique. Conscients des enjeux et modalités de mise en œuvre de la glottophobie, on pourra désormais la combattre.

Stéphanie Clerc Conan

 

Rencontres de La Brèche

Avec Philippe Blanchet autour de son livre

Mercredi 3 février à 18h30

à la librairie La Brèche