Publié le Mercredi 23 décembre 2020 à 14h50.

Essai : Le Parti des communistes, de Julian Mischi

Éditions Hors d’atteinte, 720 pages, 24,50 euros. 

Le Parti des communistes n’est ni une histoire strictement politique des sommets du parti qui scruterait les évolutions de la direction et de ses relations avec Moscou, ni une collection d’itinéraires de militantEs. Mischi décrit comment, en réaction à la boucherie de 1914-1918 et à la capitulation des dirigeants socialistes, souscrivant, pour la plupart, à l’Union sacrée, s’est constitué un parti qui se veut en rupture, se réfère à la révolution d’Octobre 1917 et se dénomme donc Parti communiste-SFIC (section française de l’Internationale communiste). Le nom de PCF sera adopté en 1943.

Courants divers

Dans la construction de ce nouveau parti vont s’agréger des courants très divers : militantEs socialistes radicalisés par l’expérience de la guerre, mais aussi syndicalistes qui s’étaient jusqu’à présent tenus à l’écart de la SFIO et, c’est moins connu (c’est un des aspects les plus intéressants parmi ceux que le livre de permet de rappeler), féministes radicales. Si des opportunistes se joignent au mouvement, il y a une forte aspiration à la rupture avec les compromissions de parlementaires socialistes et avec des pratiques qui se réduisent souvent à des discours. Ce nouveau parti se veut internationaliste et commence, malgré certaines résistances internes, à développer une propagande anticoloniale dont un des points forts est la campagne contre la guerre que le colonialisme français mène dans le Rif marocain.

Construire un parti des travailleurEs

Outre la rupture avec le parlementarisme, s’affirme la volonté de construire une organisation qui ne se contente pas de se référer aux travailleurEs, mais donne à ceux-ci une place prédominante dans sa direction et sa représentation électorale. Pour cela, est mis en place un système de formation et de renouvellement des directions à tous les niveaux. Mischi retrace divers itinéraires de militantEs pour lesquelEs l’adhésion au PCF a été non seulement un moyen d’exprimer leur refus de l’arbitraire patronal ou de tel aspect de la société, mais une possibilité d’élargissement de leur compréhension du monde et de leur culture.

Dès le début, l’Internationale communiste et ses représentants jouent un rôle majeur dans la vie de la SFIC en appuyant les radicaux contre ceux qu’ils considèrent comme des opportunistes et des droitiers parlementaristes. Mais, après la mort de Lénine, cette intervention de l’IC devient un instrument de perversion au service de la bureaucratie stalinienne. Au nom de la prolétarisation et de l’unité nécessaire du parti face à ses adversaires, sont promus le sectarisme interne et externe et, progressivement après divers soubresauts, se forme une direction totalement fidèle à Moscou.

La stalinisation

La stalinisation des partis communistes signifie un alignement sur les intérêts et la politique de l’État et du parti soviétiques, non seulement des partis eux-mêmes mais de toutes les organisations qu’ils contrôlent, et en premier lieu, les confédérations syndicales. Ainsi, si les femmes occupent dans le PC une place plus importante que dans les autres partis, les revendications portées par les féministes sont peu à peu relativisées jusqu’à un tournant majeur : en 1935, le PC s’érige en défenseur de la famille française tandis que disparaît toute référence au droit à l’avortement (au diapason de l’URSS où, légalisé en 1920, il est interdit en 1936). 

Le tournant est manifeste par rapport aux luttes sociales : après le cours sectaire et gauchiste de la période « classe contre classe », vient une longue période (à partir du milieu des années 1930) où le PCF, tout en prenant garde à ne pas se couper des aspirations immédiates des travailleurEs, s’oppose à la poursuite des grèves quand elles risquent de mettre en péril la politique définie en liaison avec le PC soviétique : c’est le cas en 1936, à la Libération, en 1968. Dans toutes ces périodes, la dénonciation des gauchistes est un leitmotiv de la presse communiste et de la CGT et, en premier lieu, la dénonciation des trotskistes voués à être éliminés (y compris physiquement) quand les circonstances le permettent.

Le passage en revue de l’histoire du PCF par Mischi conduit jusqu’à ces dernières années : il décrit le rétrécissement du parti à partir des années 1970, les tentatives pour le contrecarrer et, surtout, sa transformation à la fois sociologique et politique. Dans un parti qui lutte désormais pour sa survie, la colonne vertébrale d’ouvriers (plutôt qualifiés) et de syndicalistes est remplacée par un réseau d’élus municipaux dont dépendent l’implantation locale et une large partie des ressources. Ces élus s’autonomisent souvent par rapport à la direction nationale et aux militantEs de base mais la direction s’en accommode. Les stratégies électorales sont variables. Une forme particulière de pluralisme succède donc au monolithisme stalinien.

Quelle organisation anticapitaliste aujourd’hui ?

Dans son chapitre de conclusion, Mischi souligne à juste titre que le modèle de ce qu’a été le PCF n’est aujourd’hui ni souhaitable (en raison de son fonctionnement stalinien), ni possible (du fait de la transformation de la classe ouvrière) mais, qu’à l’inverse, « un mouvement large de sympathisants valorisant à tout prix l’horizontalité et les stratégies individuelles de personnalités de la société civile n’est probablement pas une solution pour assurer un renouveau du mouvement politique d’alternative au capitalisme, ancré dans les milieux populaires… ». Il ajoute : « La forme du parti […] demeure probablement un outil incontournable pour coordonner une lutte anticapitaliste qui se déroule sur différents terrains ». Le livre de Julian Mischi n’est donc pas seulement l’histoire (dont on pourra toujours critiquer certains éclairages) d’une espérance dévoyée mais une injonction à réfléchir sur l’avenir sans céder à l’illusion « mouvementiste ».