Publié le Samedi 6 juin 2015 à 09h11.

Essai : Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse, Emmanuel Todd

L’essai d’Emmanuel Todd sur les manifestations du 11 janvier a provoqué un tollé général dans le monde politique et médiatique. Chose suffisamment rare pour être notée, ce livre a suscité une réponse de Manuel Valls qui s’est fendu le 7 mai d’une tribune dans le Monde pour dénoncer les thèses de Todd... Commander le livre.

Une chose est certaine : Todd aura donné le bâton pour se faire battre, tant est caricaturale la méthode qu’il a utilisée dans son essai. Particulièrement délirante est par exemple l’opposition qu’il établit au sein de l’espace français entre des zones de culture égalitaire et inégalitaire qu’il délimite en fonction des coutumes successorales qui avaient cours dans la France de l’Ancien Régime. Une telle conclusion laisse pantois : peut-on sérieusement prétendre que les populations de la Côte d’Azur, massivement brassées par de très puissants courants migratoires durant les deux derniers siècles, seraient mues par un substrat égalitaire au seul motif que le droit coutumier de l’Ancien Régime n’y était pas fondé sur le droit d’aînesse ?Toutefois, la volée de bois vert qu’a suscitée la parution de ce livre ne relève pas d’un débat épistémologique. Valls ne s’y est d’ailleurs pas trompé : ce qui l’a indigné n’est pas la méthode de Todd, mais les conclusions auxquelles il aboutit, lorsqu’il affirme que le moteur des manifestations du 11 janvier doit être cherché dans l’islamophobie rampante des classes moyennes françaises, sur lesquelles pèse toujours le poids de la culture catholique.

Vous avez dit « valeurs républicaines » ?Situant le cœur des manifestations du 11 janvier dans les classes moyennes, dont il souligne le rôle charnière entre « le 1 % » et les classes populaires, Todd met en évidence les ambiguïtés d’une mobilisation qui s’est polarisée sur l’attentat de Charlie et la question de la liberté d’expression, bien davantage que sur l’attentat de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, dont le caractère antisémite pouvait pourtant sembler encore plus inacceptable d’autant qu’il s’inscrivait dans la continuité des attentats de Toulouse en 2012 et de Bruxelles en 2014.Si l’interprétation des manifestations du 11 janvier mérite sans doute une analyse plus nuancée que celle que propose Todd, l’intérêt de cet essai est de souligner que l’islamophobie de la société française n’est pas le fruit d’une prétendue xénophobie des classes populaires, mais s’enracine sans doute bien davantage au sein des classes dominantes dont « les valeurs républicaines » ne sont souvent que les vieilles valeurs relookées de l’ancienne France catholique et conservatrice. En dénonçant dans sa tribune « les intellectuels qui ne croient plus en la France », Valls lui a sans doute donné raison, en montrant à quel point son discours républicain a des accents bien maurassiens.

Laurent Ripart