Virginia Woolf, traduction de l’anglais par Marie Darrieussecq, Denoël, 2016, 13 euros.
Virginia Wolf écrit du point de vue d’une grande bourgeoise anglaise du début du 20e siècle. Elle explique qu’une femme doit pour s’épanouir disposer d’un lieu à soi, qui ne soit ni le salon ni la chambre à coucher... et de 500 livres de rente. Ça peut sembler une évidence, mais la démographie, le coût du logement, surtout dans les villes, rendent cette assertion de plus en plus d’actualité. Qui aujourd’hui dispose d’un lieu à soi ? Même les enfants en ville n’ont pas souvent cette chance, sans parler de celles et ceux qui dorment dehors, SDF ou migrants...
L’intimité, la libre disposition d’un temps à soi et d’un lieu où le passer, sont un vrai luxe. En pionnière du féminisme, Virginia Woolf a présenté ce sujet dans une série de conférences prononcées en 1928 à l’université de Cambridge. Ce texte plein d’humour et d’ironie fait un constat, de façon très astucieuse, attaquant les hommes dont elle constate aussi l’écriture très genrée. Virginia Woolf aborde la question des femmes écrivains, du lien qui évolue au fil des siècles entre la nature de leur écriture, très bridée au 16e siècle, de plus en plus libérée de leur sexe quand avance leur autonomisation. Elle n’est pas essentialiste mais explique comment des siècles de domination ont conditionné l’écriture et la créativité des femmes. N’oublions pas qu’en Grande-Bretagne au début du 20e siècle, les suffragettes étaient très actives et que les femmes y ont obtenu le droit de vote en 1918. Virginia Woolf invente pour sa démonstration une sœur à Shakespeare, Judith, dont elle narre les difficultés à écrire jusqu’à l’impossibilité qui la conduit à la mort....
Marie Darrieussecq a retraduit cet ouvrage, publié il y a près d’un siècle sous le titre de Une chambre à soi, titre qui contredisait le propos de l’auteure... Une preuve supplémentaire de la difficulté à intégrer cette idée même de la nécessité d’intimité et d’indépendance pour créer. Évidemment 500 livres de rente, c’est encore autre chose...
Catherine Segala