Publié le Dimanche 26 octobre 2014 à 07h00.

Essai : Une autre histoire des « trente glorieuses »

sous la direction de Céline Plessis, Sezin Topçu et Christophe Bonneuil, La Découverte, 2013, 24 euros

D’une part, cette période n’a pas duré trente ans mais plutôt vingt, les dix ou quinze ans qui ont suivi la guerre ayant été essentiellement consacrés à la reconstruction. D’autre part, elle a été marquée par des conflits de classe très durs, une surexploitation de certaines catégories de travailleurs tels ceux issus de l’immigration, et par des choix technico-économiques qui ont non seulement abouti à une dégradation de l’environnement, une destruction des ressources naturelles mais à une orientation sur laquelle il sera difficile de revenir.Ainsi le tout nucléaire est indissolublement lié à la volonté de détenir la bombe pour rester une grande puissance impérialiste, et ses conséquences se font toujours sentir non seulement en France mais aussi dans les pays coloniaux : les ressources du Niger sont pillées et les populations irradiées...

Continuité productivisteImpossible de rendre compte en quelques lignes de toutes les facettes d’un ouvrage aussi riche. Soulignons donc seulement quelques aspects particulièrement originaux. L’un de ceux-ci concerne la continuité de l’idéologie productiviste et planificatrice.Contrairement à une autre légende solidement ancrée, le régime de Vichy, qu’on imagine souvent comme passéiste, attaché à la petite propriété et au petit artisanat, nourrit nombre de projets planificateurs aussi bien dans l’hexagone que dans les colonies qui restaient sous son contrôle. Les mêmes technocrates sont restés aux commandes, de l’époque du front populaire à ces fameuses trente glorieuses. Céline Plessis nous montre ainsi que la « frénésie mécanisatrice », la spécialisation et les monocultures qui devaient aboutir à la ruine de millions de paysans des pays coloniaux, a commencé sous le régime de Pétain, par exemple au Sénégal pour faire face à la pénurie d’oléagineux.Certaines contributions s’appliquent aussi à montrer les résistances suscitées par ces choix et comment les critiques du productivisme ont été marginalisées.On peut toutefois regretter qu’elles s’appuient avant tout sur des textes et non sur des témoignages de contemporains. Car si une idéologie a été quasi unanimement partagée par toutes les classes sociales et courants politiques pendant cette époque, c’est bien le productivisme. Bien rares sont ceux qui se sont élevés contre le culte du PIB et de la croissance.

Gérard Delteil