Publié le Lundi 8 février 2016 à 11h20.

et que celui qui a soif, vienne

Un roman de pirates, Sylvain Pattieu, Éditions du Rouergue, 2016, 21,80 euros

Quatre cent cinquante-huit pages, trois bateaux, un navire marchand qui transporte nobles, prêtres et prostituées prisonnières, protégé par une troupe de soldats dont le chef est une femme déguisée en homme… Un bateau de pirates, hommes d’honneur, abolitionnistes, égalitaristes, féministes, démocrates et sanguinaires... Un bateau de la Compagnie des Indes, rempli de marchands cyniques partis à la conquête capitaliste du monde.

Sylvain Pattieu vient d’inventer un genre littéraire : le roman de pirates transgressif, humoristique et anachronique. Il mélange les genres, les époques, les personnages de roman et les personnages de sa vie, sa mère surtout, à qui ce livre rend par touches ultrasensibles un hommage émouvant, ou du réel en général : Victor Serge et Tonton Bicou, la Bande à Bonnot et Jesse Owens...

C’est un livre d’historien, ultra-documenté, un livre politique qui explore simultanément les pouvoirs et les limites de la religion et du vaudou, l’exploitation des hommes les uns par les autres, le peu de valeur de la vie humaine, la difficile conquête de la liberté, et celle plus complexe encore de l’utopie de la démocratie.

Pour écrire ce roman qui vous embarque littéralement sur ces trois bateaux, Sylvain Pattieu met en œuvre un style étonnant : aucun dialogue malgré le nombre hallucinant de personnages, et pourtant on entend la voix de chacun, on se trouve même régulièrement dans la tête ou la peau de chacun. Une multitude de phrases courtes avec ou sans retour à la ligne, énormément de virgules qui donnent en même temps un rythme et une « peinture ». Une écriture « impressionniste », au même sens que la peinture du même nom, l’accumulation de détails fait le sens.

Ce n’est pas si facile de trouver un roman que l’on puisse dévorer, emporté par l’histoire, les personnages, le rythme, mais qui en même temps nous apprenne une foule de choses, historiques, factuelles, nous laisse réfléchir de manière subtile et intelligente, posant les questions sans donner les réponses, même si on connaît l’engagement de l’auteur.

Et il y a un bonus : 15 pages de notes de l’auteur et de remerciements. à lire en guise de préface, à utiliser comme une série de filtres pour mieux comprendre et apprécier le mélange des registres et des sources d’inspiration.

À lire ou à dévorer.

Catherine Segala