Jusqu’au 31 décembre, une exposition du musée des Beaux-Arts de Dijon commémore le bicentenaire de la naissance de ce peintre romantique, illustrateur de génie et fouriériste convaincu, défenseur de la théorie révolutionnaire de l’« art social ».
Dans son Salon de 1859, Baudelaire écrivait : « Le romantisme est une grâce, céleste ou infernale, à qui nous devons des stigmates éternels. Je ne puis jamais contempler la collection des ténébreuses et blanches vignettes dont Nanteuil illustrait les ouvrages des auteurs ses amis, sans sentir comme un petit vent frais qui fait se hérisser le souvenir. » Nanteuil (1813-1873) y exposait trois toiles, Séduction, Perdition, Ivresse, les deux premières visibles au musée de Dijon grâce à des « réductions ». Dans le Monte-Cristo du 26 mai 1859, Dumas les commentait en ces termes ahurissants : « Le dessin n’est pas d’une correction irréprochable, la pensée manque de simplicité, l’expression est entachée d’affectation ; néanmoins, malgré ces défauts, ces tableaux prouvent que M. Nanteuil est dans une bonne voie ; il a déjà pris rang parmi les gracieux artistes aimés du public ; il comptera certainement bientôt parmi les artistes d’élite prisés des vrais connaisseurs ». Les compositions de Nanteuil n’étaient-elles pas admirées de ses amis romantiques depuis près de trois décennies ?
Haine du bourgeoisC’est en 1829, à 16 ans, que Nanteuil, venu à Paris suivre les cours des Beaux-Arts puis ceux d’Ingres, fit la connaissance de Jehan du Seigneur, qui allait l’introduire auprès d’autres romantiques bientôt fondateurs du « petit Cénacle », du « Camp des Tartares » et des « Bouzingos », Gautier, Pétrus Borel, Nerval, Devéria, Bertrand, tous assez proches d’Hugo pour organiser en sa faveur la « bataille d’Hernani » en février 1830. Nanteuil fut de ces échauffourées, préfigurant les « Trois Glorieuses » de juillet ou cette autre bataille romantique que fut, en décembre, la première de la Symphonie fantastique de Berlioz. Il fit aussi partie de ce groupe vivant en communauté, impasse du Doyenné puis rue d’Enfer, multipliant les festivités nocturnes, affolant le voisinage et déboulant dans les rues pour s’en prendre aux bourgeois, avant qu’une loi louis-philipparde n’interdise ces manifestations.Du Seigneur fréquentait les saint-simoniens, Borel les blanquistes ; Nanteuil fut davantage séduit par les idées fouriéristes, qu’il communiquait à ses amis ou élèves, tel le jeune Nadar, plus tard anarchiste. Ce tournant décisif du romantisme français, où l’exaltation et le souci du peuple vinrent se confondre avec la haine du bourgeois, reste discret dans les gravures de Nanteuil, œuvres de commande pour la plupart, mais dont un colloque de la BNF a récemment souligné les qualités exceptionnelles de composition. L’ensemble de ses eaux-fortes et lithographies étant aujourd’hui visible sur le site internet Gallica, le musée de Dijon, qui conserve plus de 300 œuvres de l’artiste, n’en offre qu’une sélection réduite. Mais dans ses aquarelles et ses toiles perce l’enthousiasme frustré des révolutions de 1830 et de 1848, où chaque fois, selon le mot de Nerval, on crut étreindre la liberté, « femme au buste divin », avant de découvrir que son « corps finit en queue ».
Gilles Bounoure