Publié le Vendredi 4 octobre 2024 à 08h00.

Silbermann, une poétique insolente du merveilleux

Jusqu'au 10 octobre à la Galerie Sator, 8 passage des Gravilliers 75003, Paris. Jusqu’au 5 janvier 2025, une grande installation dans l'exposition « L’œil vérité » au Mac Val à Vitry-sur- Seine. Jusqu’au 13 janvier 2025, une installation et un papier peint dans l'exposition « Surréalisme » au Centre Pompidou.

À presque 90 ans, Jean-Claude Silbermann se laisse envahir par l’incroyable beauté du monde en traversant le miroir des apparences. Il traque le poétique dans les recoins de la pensée et de la vision ou le surgissement incongru de l’objet. Cette passion du méconnaissable qui ne demande qu’à surgir va de pair chez lui avec une exigence d’émancipation qui lui fit signer l’appel des 121 pour le droit à l’insoumission du peuple algérien en 1960. Ce « fils unique depuis sa naissance », comme il le dit, refusa les lendemains heureux de la chapellerie à laquelle son père le destinait pour naître à la poésie et à l’art. En 1953, son professeur de philo le fit sortir de ce qu’il appela « une longue nuit de sommeil » et après sa lecture d’Alcools d’Apollinaire «le monde avait changé». Il entra au groupe surréaliste aux côtés d’André Breton dont il fut un des assistants proches. D’abord poète, il s’appropria la peinture.

Jeu d’associations et de conversations

Avec son art de la flânerie attentive et du laisser surgir, il s’applique à mettre en forme images et objets trouvés, récupéré ou crées pour les décliner dans un jeu d’associations et de conversations. Il les entraine dans un merveilleux poétique qui ne dédaigne pas l’inquiétante étrangeté, la violence et l’érotique des rencontres et du monde. De la main ou à la découpe et au pinceau, au gré de la pensée et du libre jeu des associations, il donne corps aux surprises et découvertes que lui réserve le laboratoire poétique et artistique de l’inconscient. Avec une modestie très ambitieuse et une ironie tendre mais parfois féroce, il reconfigure le monde et les êtres tout en donnant une acuité au hasard. Ses cadavres exquis qu’il fait en quelque sorte en « solo », son art de saisir les opportunités de l’inconscient sont la matrice de ses rebonds et de ses histoires sans récit ; avec leurs personnages à la fois présents et rêveurs, familiers ou énigmatiques, doubles de lui-même et de proches ou incarnations de l’autre. La mythologie et le populaire s’entremêlent au gré des choses trouvées, vues ou imaginées. Ses pensées indolentes et ses promenades en attente de rencontres fondatrices sont un mode de travail.

La persistance de l’esprit surréaliste

Il fit partie des protagonistes qui comme José Pierre et Jean Schuster poussèrent le groupe surréaliste à s’ouvrir à de nouvelles sensibilités et pratiques. Après la mort de Breton (1966), avec eux il considérera que la dissolution du groupe était la condition de sa dissémination et de la persistance de son esprit dans d’autres liens et rencontres. Ses « enseignes » en bois découpés naquirent de son appétence pour celles qui ornaient certains restaurants et de sa passion pour les objets abandonnés et autres trésors disponibles à la saisie du regard et de la main jusqu’à les inclure dans ses assemblages, découpes peintes ou installations. Sa peinture et son dessin transcrivent en les transformant ces découvertes de flâneur attentif et rêveur lucide faisant des choses et des êtres des déclencheurs donnant forme à ses histoires sans parole et ses récits éclatés allant de rebonds en associations et rencontre imprévues. Il fait naître des énigmes riches d’échos poétiques, littéraires, artistiques et mythologiques. Sa proximité – transmuter l’ordinaire et l’arracher à la banalité – insuffle dans ce qu’il dessine, découpe et peint de merveilleux retournements ou déplacements.

Philippe Cyroulnik