Au musée du quai Branly (Paris) jusqu’au 23 juillet 2017.
« L’Art nègre, connais pas », provoquait Picasso, agacé que l’on compare « les Demoiselles d’Avignon » et leur nez en quart de brie à la statuaire africaine...
Et pourtant il découvre un grand masque fang du Gabon chez ses amis Derain et Apollinaire et au musée de l’Homme du Trocadéro en 1907, grand bazar capharnaüm poussiéreux qu’il visite longuement, médusé par l’expressivité et la pureté formelle des masques et de la statuaire de « l’art nègre » comme on disait à l’époque, c’est-à-dire africain et océanien, américain ou asiatique.
C’est avec un tiki des îles Marquises qu’il entame alors une collection qu’il exposera au milieu de ses toiles dans ses différents ateliers tout au long de sa vie. Commence alors un subtil jeu de résonance entre ces objets et l’œuvre de Picasso.
C’est ce que nous montre la première partie « Chronologie », documentaire et intime, de cette exposition à base de photos et objets, y compris la déesse vanuatu, cadeau non apprécié de Matisse.
La seconde partie, magnifique, intitulée « Corps à corps », fait subtilement se côtoyer, se mélanger, par identité thématique des chefs-d’œuvre d’art non occidental et de Picasso, brouillant parfois les pistes sur l’auteur des œuvres pour mieux en rendre sensible la correspondance, l’essence de l’art, les pulsions originelles et son érotisme premier, la liberté sans interdit.
Parcours psychanalytique...
Le spectateur suit alors un parcours souligné par la couleur des salles qui vont du blanc au noir, une progression quasi psychanalytique dans la thématique.
« Les Archétypes » présente le corps dans sa nudité et sa stature verticale, parfois réduit à une ligne essentielle, le corps signe.
« Les Métamorphoses », jeux virtuoses qui multiplient les regards : Réversibilité / Retournements (double sens) ; Mise en abîme ; Animal – Humain / Humain – Animal (le Minotaure) ; Assemblages – Art de la trouvaille (petites voitures formant la gueule de la guenon).
« Et le çà », entendu au sens freudien, énergie psychique inconsciente, centre des pulsions fondamentales qui ne connaît ni normes ni réalité, ré émergeant dans les masques et ses distorsions, les rites et exorcismes. Conçue en six volets : Regards (deux trous font un regard) ; Faire face, la face réduite à quelques signes ; Le visage à l’épreuve de la défiguration, le monstre, l’outrance plastique ; Les baisers, la bouche, siège de l’expressivité et de l’érotisme ; Le sexe, masculin, féminin, la pulsion désinhibée ; Le ça se termine dans la salle finale noire où se côtoient de sublimes statues primitives non occidentales et celles de Picasso, informes et vaguement anthropomorphes, bouleversantes.
Une exposition essentielle qui fera date, imaginée par Yves Le Fur, qui se différencie de celle du Moma en 1984, « le Primitivisme dans l’art du 20e siècle » de William Rubin, en ce qu’ici, on ne cherche pas les influences formelles directes mais les résonances entre les intentions, voire le subconscient, et les pulsions profondes des artistes occidentaux et non occidentaux. Ce n’est pas du primitivisme mais du primitif, au sens primordial...
Ugo Clérico