Publié le Mercredi 9 juin 2021 à 14h13.

Festival BD d’Angoulême : les auteurEs votent pour le social

La mobilisation des auteurEs de BD regroupé(e)s dans le collectif AAA (Auteurs et autrices en action) ne faiblit pas.

Après un festival de fin janvier 2020 marqué par des mobilisations importantes aussi bien dans la rue qu’au cours des cérémonies officielles (Macron se souvient encore du dessin du tee-shirt contre les violences policières montrées devant toutes les caméras), 2021 a été marquée par les menaces de boycott du 48e festival lui-même. La pandémie a résolu le problème avec le report puis l’annulation du festival. Les Fauves des meilleurs albums furent désignés dans un théâtre d’Angoulême vide fin janvier et la remise du 48e Grand prix se fera à minima1. Le plus important s’est en fait passé lors du vote des auteurEs pour le premier tour de l’élection de ce Grand Prix2 avec un grand nombre d’auteurs et d’autrices se prononçant pour Bruno Racine qui n’est pas un auteur de BD.

Le rapport Racine a été enterré par le gouvernement Macron

En 2019, avec la proclamation de 2020 comme année de la BD, les autorités gouvernementales, sous la pression des auteurEs, avaient été contraintes de commander un rapport pour faire le point sur la situation et faire des propositions pour améliorer leur statut professionnel. C’est Bruno Racine, ancien président de l’Association pour la promotion de la BD et ancien directeur de la Villa Médicis, qui écrivit ce rapport, lequel fut accueilli très favorablement par le monde des auteurEs mais pas par les grosses maisons d’édition. Toutes les propositions du rapport ont été détricotées par le gouvernement, ce qui a entrainé la colère de la profession, qui se saisit de toutes les occasions pour manifester dans le cadre d’une mobilisation de tout le secteur culturel. Plutôt que de boycotter le scrutin, les auteurEs se sont passé le mot pour voter Racine. Bien sûr, ce vote protestataire n’a pas été comptabilisé mais le Festival international de la BD a largement reconnu son existence. En fait, le FIBD et son association sont pris entre le marteau et l’enclume et doivent relativiser la portée de ce vote protestataire pour ne retenir que les votes en faveur des « vrais » auteurs et autrices, vivants au moment du vote et jamais ­récompensés par un Grand Prix.

Deux autrices dans le trio sélectionné par le premier tour

Les trois artistes arrivés en tête des suffrages exprimés sont les Françaises Pénélope Bagieu et Catherine Meurisse, ainsi que l’Américain Chris Ware (ordre alphabétique retenu). Le deuxième tour (du 8 au 14 juin), va maintenant inviter le même collège d’autrices et auteurs à élire la ou le lauréatE parmi ces trois nominéEs. À l’issue de l’ensemble de ce processus électoral, le nom du Grand Prix 2021 sera annoncé à Angoulême le 23 juin prochain.
 

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Les trois auteurEs sélectionnés :

 

Pénélope Bagieu

Née en 1982 à Paris, Pénélope Bagieu poursuit des études à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, puis au Central Saint Martins College of Art and Design de Londres. Illustratrice pour la presse et pour la publicité, elle lance également un blog dessiné en 2007, « Ma vie est tout à fait fascinante ». Elle s’intéresse de près aux destins de femmes et triomphe avec la biographie California Dreamin qui plonge dans les débuts de la chanteuse du groupe The Mamas and the Papas. Sa série des Culottées qui retrace les parcours de trente femmes indomptables de tous les continents qui ont bravé des interdits. La dessinatrice a également adapté en 2020 Sacrées Sorcières de Roald Dahl pour la jeunesse, proposant par ce biais une réinterprétation de son choc littéraire d’enfant.

Catherine Meurisse

Embauchée à Charlie hebdo en 2005, à 25 ans, alors qu’elle est tout juste diplômée des Arts Déco, Catherine Meurisse débute sa carrière par la bande dessinée d’humour bien que l’histoire de l’art et la littérature soient ses terrains de jeu préférés (Mes hommes de lettres, Le pont des Arts, Moderne Olympia) Cette fine critique se pose aussi en observatrice du monde contemporain. Son trait vif et malin sublime ses albums pleins de fantaisie, mais sait aussi se faire précis et fouillé lorsqu’il s’agit de reproduire des œuvres d’art. Après l’attentat de Charlie hebdo, auquel elle échappe, elle va alors rechercher « la beauté comme antidote à l’horreur ». Elle devient un personnage vivant et incarné de ses bandes dessinées, se reconstruisant en plaçant sa propre personne au cœur de ses récits – sans pour autant abandonner l’humour. Son trait comme libéré se fait virtuose et onirique. Une approche plastique qu’elle développe encore dans Les grands espaces et Delacroix. Dans La jeune femme et la mer (2021), la rencontre entre une dessinatrice française, un peintre japonais et une jeune femme mystérieuse dans une auberge thermale du sud du Japon est un prétexte pour questionner notre rapport à la nature.

Chris Ware

Né en 1967 à Omaha (États-Unis), Chris Ware est publié très tôt dans RAW, la revue d’avant-garde d’Art Spiegelman et Françoise Mouly. Il entame au début des années 1990 une œuvre d’envergure avec la série des Acme Novelty, vraie-fausse revue à la forme et à la pagination changeante qui installe les personnages bientôt fameux de l’auteur : Quimby the Mouse, Rusty Brown et surtout Jimmy Corrigan. Depuis 25 ans, c’est une œuvre originale, qui oscille entre une douce mélancolie et une profonde tristesse, que propose Chris Ware, s’attachant toujours à regarder au microscope le quotidien de ses personnages et leurs gestes les plus dérisoires. Salué à chaque nouvelle parution, Chris Ware a reçu de très nombreux prix, dont 28 Harvey Awards et 22 Eisner Awards. L’auteur publie en 2012 le remarqué Building Stories, un livre-objet impressionnant constitué d’une quinzaine de livres de formats divers pouvant être lus dans un ordre choisi par le lecteur – ce dernier livre a reçu le Prix spécial du jury au Festival d’Angoulême en 2013. Fin 2020 est paru aux éditions Delcourt son nouvel ouvrage, déjà paru aux États-Unis, Rusty Brown, qui figurait parmi les ouvrages en sélection officielle du festival.

  • 1. Voir nos précédents articles.
  • 2. Depuis 2014, les auteurEs de BD professionnels, quelle que soit leur nationalité, et dont les œuvres sont traduites en français et diffusées dans l’espace francophone, sont admis à voter pour l’élection du Grand Prix du Festival d’Angoulême.