Après Florence Cestac en 2000, une femme, Rumiko Takahashi, auteure japonaise de mangaka, a été sacrée à Angoulême.
Depuis la grande polémique de 2016, lorsqu’aucune femme n’était apparue sur la liste initiale des nominés, les choses ont bien changé, avec un droit de vote exclusivement accordé aux auteurEs (1 672 votantEs cette année). Et après quarante ans de carrière et 200 millions d’albums vendus dans le monde, Rumiko a bien mérité le Grand Prix du 46e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême.
Une récompense méritée
Rumiko est la reine du manga genre « shönen ». Son œuvre est prolifique et, plus que le mièvre la Maison Ikkoku, adapté en dessin animé pour le club Dorothée sous le nom de Juliette, je t’aime, on retiendra l’auteure qui refusa très vite les codes des histoires romantiques pour dépasser les conventions du manga comme de la société conservatrice japonaise. Nul doute que son personnage du manga Ranma ½ sera bientôt brûlé par le gouvernement brésilien et tous les autres réactionnaires du monde : Ranma est, en effet, à la fois homme et femme ! Le trait vif et expressif de Rumiko donne un ton unique à tous ses personnages, souvent des marginaux « pétris de défauts mais profondément humains ».
Comme Corben, primé en 2018, Rumiko est d’une grande discrétion et refuse d’être photographiée. Ce qui explique son absence pour la remise du Grand Prix. Son éditeur français (Glénat) assure pourtant qu’elle aura à cœur de s’impliquer dans le prochain festival. Si l’exposition qui lui sera consacrée se révèle aussi riche que celle de Corben, les festivalierEs ne pourront être que comblés.
Ce sont en effet 250 planches et huiles du maître étatsunien (pureté du noir et blanc et couleurs fantasmagoriques) qui ont été réunis au musée des Beaux-Arts de la capitale charentaise sous le nom de « Donner corps à l’imaginaire ». L’univers sombre et le dessin époustouflant de Corben éclatent sur les murs du musée et se mêlent parfois aux œuvres permanentes. Choc visuel garanti ! L’exposition sera prolongée jusqu’au 10 mars puis dispersée dans les collections privées.
Des expositions
Il n’en sera pas de même pour les expositions de Manara et de Batman, qui seront démontées dès le 28 janvier. Elles ont toutes deux été inaugurées en présence des auteurs Milo Manara et Franck Miller. Avec un budget de plus de 200 000 euros, l’exposition Batman réunissait tous les ingrédients d’un succès « monstrueux » : projection du « Bat-signal » sur la façade de l’hôtel de ville, exposition de la vraie Batmobile à l’entrée de l’Alpha Médiathèque, reconstitution du bureau et de la Bat-cave en grandeur nature et, cerise sur le gâteau, des planches originales couvrant près de 80 ans de Batman.
L’« Itinéraire d’un maestro de Pratt à Caravage » consacrée à Manara se montrait plus intime, et même encore plus avec le salon rouge réservé aux planches érotiques de l’auteur. Plus émouvant, le parcours consacré à sa collaboration avec Fellini pour lequel il réalisa story-boards et affiches de film (ou quand le septième art et le neuvième art ne font plus qu’un !). L’influence de Pratt est bien sûr relatée mais, in fine, c’est bien le grand peintre italien Caravage qui a le plus impressionné Manara, comme en témoignent ses deux récents albums.
Nous relaterons d’autres événements du festival, notamment les « Fauves » (le Goncourt de la BD) décernés, mais la lumière des planches conjuguée aux lumières du ciel charentais ne donne qu’une envie : revenir !
Sylvain Chardon