Ce livre est le récit vivant d’une époque, de 1860 à la fin du siècle, par trop méconnue en France, où, à travers le dévouement et l’engagement de milliers d’ouvriers, d’employés, de femmes et d’hommes, s’est construit le premier grand parti moderne de la classe ouvrière, un parti révolutionnaire.
Nous retenons le plus souvent de l’histoire de la social-démocratie sa faillite en 1914, et ensuite son intégration à l’ordre bourgeois. Ce livre nous fait connaître celles et ceux qui l’ont construite comme instrument de leur propre émancipation, quand la bourgeoisie et l’État sous la férule de Bismarck unifiaient l’Allemagne et développaient à grande vitesse leur appareil de production. L’Allemagne était alors le cœur du mouvement ouvrier international. Il décrit comment les associations culturelles ouvrières, mises en place dans les années 1860 par la bourgeoisie elle-même afin d’utiliser les travailleurs contre la réaction féodale et les contrôler, devinrent un lieu d’agitation et de propagande socialiste. La classe ouvrière commençait à conquérir son indépendance.
L’impulsion politique de ce tumultueux développement est donnée par des groupes militants assez restreints dont deux dirigeants seront l’âme, August Bebel et Wilhelm Liebknecht. Leurs deux voix furent les seules à s’opposer au vote des crédits de guerre au Reichstag en juillet 1870, une audace internationaliste qui arma bien des vocations et volontés militantes. Audace démultipliée par le rayonnement en 1871 de la Commune de Paris.
Un an après les succès électoraux de 1874 eut lieu la fusion des deux partis socialistes, alors que Bismarck engageait une large répression pour étouffer les progrès du mouvement ouvrier. En 1878, il promulgue les lois contre les socialistes maintenues jusqu’en 1890. Ironie de la lutte, c’est en cherchant à contourner les interdits que les militants socialistes enracinèrent leur parti au plus profond de la classe ouvrière et de la société, en s’investissant dans toutes sortes d’associations avec une grande inventivité avant que la routine parlementaire, le réformisme, ne paralysent une large fraction de son appareil.Passionnante histoire que celle de l’union du mouvement ouvrier et des idées socialistes modernes de Marx et d’Engels. Sans aucun doute aussi des enseignements pour celles et ceux qui veulent œuvrer à sa renaissance…
Yvan Lemaitre
Histoire : la social-démocratie sous BismarckAnne Deffarges, L’Harmattan, 2013, 25 euros.