De Philippe Baqué. Éditions Agone, collection « Contre-feux », 314 pages, 20 euros.
D’Alzheimer au transhumanisme, la science au service d’une idéologie hégémonique mercantile.
Philippe Baqué, journaliste et réalisateur de documentaires, est parti des interrogations soulevées par la maladie d’Alzheimer de sa mère pour mener une enquête très personnelle, sans être subjective, autour de ce dont cette maladie est le nom et du futur que nous promettent les contempteurs de la mort.
Bienvenue dans la vie éternelle !
Dans la Vieillesse (1970), Simone de Beauvoir écrivait : « La vieillesse ne saurait être comprise qu’en totalité, elle n’est pas seulement un fait biologique, mais un fait culturel ». C’est à cette époque que, l’espérance de vie s’allongeant, les structures familiales se modifiant, la société a dû commencer à gérer de nombreuses personnes âgées dont le comportement, jusqu’alors qualifié de démence sénile, a été rapproché des observations faites en 1906 par le docteur Alzheimer. La vieillesse devenait une maladie et un boulevard s’ouvrait devant les laboratoires pharmaceutiques et les maîtres de la « Silver Economy ». Les maisons de retraite, rebaptisées EPHAD, devenaient un placement extrêmement rentable.
L’auteur nous présente un tableau complet de la situation, de la compétition des laboratoires pour trouver des médicaments pour soigner la maladie (la vieillesse), de la démonstration de leur inefficacité et de la chute des préconisations, malgré la collusion et les conflits d’intérêts de nombreux décideurs publics, souvent médecins. Il nous montre comment, ne pouvant soigner la maladie, la compétition s’est lancée dans le domaine du dépistage précoce, afin de créer un nouveau marché de la prophylaxie.
Et pendant ce temps, dans les EPHAD, le personnel insuffisant, rentabilité oblige, mène une vie de galère à ne pas pouvoir s’occuper correctement des pensionnaires, parfois carrément maltraités. Une souffrance des travailleurEs et des « clientEs » qui n’est malheureusement pas sans rappeler d’autres horreurs.
Chasse à la vieillesse
Qui dit dépistage précoce conduit directement à la génétique. Quel est le gène de la maladie d’Alzheimer ? Pour l’identifier, des moyens hallucinants, se chiffrant en milliards de dollars, sont mis en œuvre par les laboratoires qui s’allient, dans ce monde où on ne manque jamais d’argent, aux plus grands groupes, Google, Apple, IBM, etc. Des start-up poussent comme des champignons pour être prêtes à récolter les fruits de la moindre petite découverte. Séquençage du génome, prothèses et puces… promettent un avenir fait d’une haute rentabilité.
Deux chercheuses, la française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna, ont inventé un outil, le Crispr-Cas9, ciseau à couper l’ADN, qui permettrait de réparer, mais qui ouvre la porte à toutes les expérimentations, facilement et à moindre coût, avec la possibilité de profits fabuleux, à un point tel que les deux inventeuses elles-mêmes tirent déjà le signal d’alarme.
La chasse à la vieillesse conduit logiquement à la chasse à la mort, et la collecte de centaines de milliers de génomes, fournis bénévolement par celles et ceux qui veulent savoir comment ils vont mourir, permet à ces groupes de se constituer des bases de données gigantesques afin de poursuivre leur nouveau but : éradiquer la vieillesse et en tirer profit. Pour Philippe Baqué, « cette quête de l’immortalité et de l’éradication de la vieillesse se fonde sur une vision à très court terme : celle du marché ».
Promesse d’un nouveau monde ?
On découvre le nouveau monde que nous promettent les transhumanistes et les technoprophètes adeptes de l’homme augmenté, le français Laurent Alexandre, auteur de la Mort de la mort, l’Anglais Max More, cryogénisateur de riches, les fabricants chinois de clones et d’embryons sélectionnés, les libertariens étatsuniens… tous annoncent l’éternité pour celles et ceux qui s’adapteront et feront des enfants dans des utérus artificiels, et une vie de chimpanzés pour les autres.
Peu de voix s’élèvent pour s’y opposer, mais on peut noter celle de Jacques Testard, « créateur » du premier bébé-éprouvette. Le collectif grenoblois Pièces et Main-d’œuvre est aussi très actif sur ce sujet. Petit bras comparé aux milliards investis, mais au moins le mérite d’aborder un thème trop absent du débat politique.
Philippe Baqué, tout en s’interrogeant sur la part réelle d’utopie, appelle à agir et à ne pas nous résigner à devenir les chimpanzés du futur.
Catherine Segala