Publié le Vendredi 31 janvier 2020 à 10h56.

Joe Sacco : le reportage anticolonialiste dans la peau

Emmanuel Macron a déclaré le 22 janvier, depuis Jérusalem que « l’antisionisme, lorsqu’il est la négation de l’existence d’Israël comme État, est un antisémitisme ». Une scandaleuse déclaration qui n’a guère dû plaire au grand journaliste étatsunien pro-palestinien Joe Sacco dont les ouvrages sur la colonisation sioniste et sur Gaza en particulier font autorité dans le monde mais ne sont pas édités en Israël.

Joe Sacco, né le 2 octobre 1960 sur l’île de Malte, vient de publier un magnifique documentaire en BD, Payer la terre1, sur l’histoire des Dénés, peuple amérindien vivant le long du fleuve Mackenzie. Spoliation au 19e siècle, rapt des enfants pour les « civiliser » jusqu’à récemment, puis exploitation contemporaine du pétrole et du gaz de schiste brut, sur fond de « crise identitaire ». 

Le déclic Edward Saïd

Journaliste, formé dans les meilleures écoles de journalisme états­uniennes, il a dès le plus jeune âge contracté une passion contre les guerres impérialistes et pour le dessin. Il s’est même consacré à la Première Guerre mondiale sous forme de tapisserie et d’ouvrage révolutionnaire sur la forme que nous avons salué en 20142.

Immigrant en Amérique, il a un temps cru à l’indépendance et à l’objectivité des médias US avant de tomber sur un livre d’Edward Saïd, le grand écrivain palestino-américain. Ainsi racontait-il, en 2015, aux éditions Rackham, sa prise de conscience :

« Le second point – à propos des journalistes américains – était pour moi d’autant plus exaspérant qu’après m’être difficilement efforcé de rentrer dans leur moule, je constatais à quel point leur travail sur la question était déficient et honteux. Ils ne m’avaient pas du tout informé. Jusqu’à ce que je quitte l’université, malgré ma fréquentation assidue des journaux et des actualités télévisées, je n’avais jamais disposé du moindre élément pour comprendre qui étaient les Palestiniens et quel était le sens de leur combat.

En réalité, comme je le détaille dans ce livre, j’associais simplement Palestiniens et terrorisme. La conception que j’avais reçue d’un Israël innocent, victime isolée dans un océan d’Arabes déments, a commencé à se fissurer après le bombardement aérien de Beyrouth (utilisant des bombes fournies par les États-Unis soi-disant à des fins purement "défensives") et l’invasion massive du Liban au début des années 1980. Les massacres des camps de Sabra et Chatila, où des centaines de Palestiniens sans défense furent exécutés par une milice chrétienne alliée aux forces d’occupation israéliennes dans une zone contrôlée par les Israéliens ont éveillé mes premiers soupçons sur la dynamique du pouvoir à l’œuvre dans cette région : elle n’était pas tout à fait celle qu’on avait voulu m’inculquer. J’ai donc commencé à lire autre chose que les journaux américains. Je remercie "Blamming the Victims", édité par Christopher Hitchens et Edward Saïd, "la Question palestinienne" de Saïd ou "le Triangle fatal" de Noam Chomsky. D’autres livres ont comblé mes lacunes mais ceux-ci m’ont les premiers ouvert les yeux. Avant de les lire, je pensais être une personne intelligente et relativement bien informée. J’ai vraiment été secoué par ce que j’avais ignoré jusque-là et ce que je ne savais toujours pas ».

Conscient de toutes les situations d’oppression

Pour Palestine, une nation occupée, il a reçu le American Book Awards en 1996. Gaza 1956, en marge de l’histoire, a reçu le prix Eisner du meilleur auteur de reportage et le prix Regards sur le monde du festival d’Angoulême en 2011. 

Conscient de toutes les situations d’oppression dans le monde et qu’il ne pouvait toutes les décrire, il a voulu plonger dans la réalité de l’île de son origine : Malte. Il a donc enquêté sur l’arrivée massive de migrantEs africains et raconté leurs désastreuses conditions de vie, l’hostilité de riches maltais et des politiques locaux corrompus mais aussi l’abnégation des humanitaires. Le reportage intitulé The Unwanted (« les Indésirables ») place l’Europe officielle devant ses responsabilités comme il l’avait fait pour la Bosnie des années 1990.

Que ce rapide tableau, trop panégyrique pour plaire vraiment à Joe Sacco, nous incite à le (re)découvrir, à le lire et à le soutenir.