Premier volume, Éditions Glénat, 88 pages, 24,50 euros.
Le père du blues, Robert Johnson, est décédé à l’âge ridiculement bas de 27 ans1. Jimi Hendrix aussi. La saga de Jimi méritait pourtant d’être racontée en deux tomes.
Dans ce premier tome, la période d’apprentissage est une douloureuse odyssée de 24 ans qui finira par mener Jimi à Londres pour une gloire éphémère et immortelle. La dernière case de ce formidable album, récompensé en marge du 50e festival d’Angoulême par un jury présidé par Philippe Manœuvre, nous torture tant on voudrait déjà être à Londres.
Une trajectoire douloureuse
Jimi naît à Seattle en 1942 de la rencontre alcoolisée entre Al, un mauvais boxeur noir, et Lucille, une semi-prostituée d’origine cherokee. Vingt-quatre années de misère et de galère avant de pouvoir embrasser le firmament étoilé prévu par la grand-mère cherokee qui accompagnera Jimi toute sa vie avec la fierté du peuple noir. Avec ou sans acide, les légendes amérindiennes et africaines l’accompagneront toujours.
Quel enfant se cachait sous la face cosmique de « Voodoo Child »2 ? Un gamin fracassé, au sein d’une famille dysfonctionnelle, qui doit éviter tous les pièges pour se concentrer sur la musique même si sa guitare cassée ne compte plus que deux cordes. L’enfance de Jimi renvoie aussi à un pan de l’histoire raciste et ségrégationniste des États-Unis.
De ses premières gammes à de nombreux concerts dans des bouis-bouis miteux, le blues suinte dans les veines de ce guitariste en herbe que tout le monde prend pour un « loser » qui joue « mal » et trop fort. « Entre lyrisme et réalisme, le roman graphique explore non seulement l’âme tourmentée de la future rock star mais aussi toutes les étapes d’un itinéraire musical méconnu qui lui a fait croiser, au cours de son apprentissage, des artistes de légende comme Little Richard, Ike & Tina Turner, BB King, Curtis Mayfield, Sam Cooke, Wilson Pickett, Bob Dylan et les Rolling Stones »3.
Jusqu’à son ascension, Jimi croit en son talent
De sa naissance jusqu’à la révélation de la musique, Jimi est un génie incompris. Il essuie rebuffades et humiliations de la part des musiciens quand il parvient à les approcher. Ils ne veulent pas de lui sur scène mais l’embauchent volontiers en studio où il ne leur fait pas d’ombre.
En réalité, « James Marshall Hendrix » a appris à jouer en autodidacte pour impressionner les filles. Un passage à l’armée s’avère formateur puisqu’il y fera la rencontre de Billy Cox qui deviendra son bassiste et complice. Premier amour malheureux avec Betty Jean, des romances fulgurantes et des rencontres décisives notamment avec Linda, la fiancée de Keith Richards des Stones qui veut l’envoyer à Londres. Hendrix roule à travers les États-Unis, enchaîne les contrats sans réels lendemains mais il se fait remarquer à Nashville ou à Seattle. Une nuit, dans un club, son jeu de guitare ne passe pas inaperçu auprès de Chas Chandler, ex-bassiste des Animals4, devenu producteur. Triomphe à New York, puis départ immédiat pour Londres. Une autre vie commence.
Un dessin réaliste en noir et banc qui accompagne la quête de reconnaissance
Le dessin réaliste et fouillé transcende le scénario par des vignettes et cases d’une intensité rare. Pour les anciens qui ont vécu cette période où tout était possible, surtout la révolution, on s’y croirait. Mezzo nous fait, en noir et blanc, 80 pages à la Robert Crumb (du temps de Janis Joplin). Toutes les femmes qui influencèrent Hendrix sont magnifiquement représentées. Que du bonheur et une initiation pour celles et ceux qui voudraient faire connaissance avec le blues qui influença Jimi Hendrix avant son départ à Londres et la consécration mondiale.
- 1. Robert Johnson et Jimi Hendrix font partis du « Club des 27 » avec Brian Jones, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain ou Amy Winehouse.
- 2. « Voodoo Child » constitue certainement le morceau le plus abouti de Jimi où les légendes amérindiennes et africaines se mêlent à la musique des étoiles.
- 3. In Babelio rock. Ne pas rater la superbe préface de Nick Kent, légende de la presse rock.
- 4. Chas Chandler a d’abord été le bassiste de The Animals avec Eric Burdon au chant. Le groupe triompha avec « The House of the Rising Sun » repris par Johnny Hallyday sous le nom du « Pénitencier ». Le même Johnny a interprété « Hey Joe » avec Hendrix à la guitare.