Publié le Dimanche 7 janvier 2024 à 16h00.

La Culture (la musique) dans l'Anticapitaliste n°689

 

Métamorphose, de Bernard Lavilliers

Barclay, 2023, 16,99 euros.

Quand un auteur compositeur interprète passe au classique, c’est une forme de consécration... Il est alors adoubé, enfin accueilli au sein de la « grande culture », admis comme faisant partie de la famille : il passe et repasse sur France Inter, s’ouvre les portes de Télérama. Certes, Bernard Lavilliers n’a pas attendu cet album pour être reconnu, largement, par son public et par les critiques, mais l’on sent bien que d’aucunEs attendent (secrètement ?) de le voir faire allégeance !

Pourtant Bernard ne lâche rien ! Le choix des titres proposés dans cet album en fait un événement majeur de sa discographie. À l’écoute de ces morceaux, travaillés avec soin par l’auteur avec les équipes des musicienNEs symphoniques envers lesquelLEs il exprime un grand respect et une réelle fraternité, celle ou celui qui l’écoute ne peut que clamer « Lavilliers encore », et merci à ses « mains d’or » ! Pour Betty, pour La Grande Marée, pour Noir et blanc et pour l’ensemble de l’opus. 

La voix de la sagesse...

Les arrangements symphoniques des succès les plus éclatants — mais pas que — de l’auteur­-compositeur, contenus dans le CD, semblent permettre au chanteur d’aborder son œuvre sans faire semblant d’être resté un jeunot, de poser la voix d’un homme qui ne renonce à rien malgré les années, nous gratifiant, pour la lutte, d’une évocation de la Bandiera rossa d’une terrible actualité, et nous promettant, en point d’orgue, rien moins que l’Espoir ! « Dans le secret, dans l’amour fou / De toutes tes forces / Va jusqu’au bout / Et si l’espoir revenait ».

Vincent Gibelin

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Le Jardin des délices, de Leïla Martial et Valentin Ceccaldi

BMC Records, 2023, 14,90 euros.

Ce disque marque les retrouvailles de deux musicienNEs qui se sont hisséEs en une dizaine d’années parmi les superstars d’une scène jazz ­décloisonnée et versatile.

La liste, trop aimable, des reprises choisies pourrait sembler une tentative un peu facile de nous charmer. Mais les deux complices, prolifiques et multipriméEs, n’ont pas besoin de nous prendre de haut pour avoir notre confiance. Au bois de Saint-Amand de Barbara est l’occasion de déstructurer joyeusement cette simili comptine au point de nous la faire redécouvrir. Et Cold Song, tube implacable de Purcell, est ni plus ni moins à la juste hauteur des sensations que nous procure la voix magique de Leïla Martial, caressante et bousculante. En concert, celle-ci est capable de nous faire pleurer de rire ou d’émotion en moins d’une minute.

Quelquefois cette voix passe au travers d’objets incongrus (des mignonnettes vides, une flûte à coulisse…) pour élargir encore sa palette, mais c’est le plus souvent sans artifice qu’elle produit ces irrésistibles gloussements et autres drôles de sons. Une technique à toute épreuve qui s’explique probablement par une pratique obsessionnelle et assidue du chant, une curiosité voyageuse et, il faut le dire, un bon grain de folie.

Le violoncelle de Valentin Ceccaldi n’est pas en reste, usant de la même facétie, multipliant les registres avec la même insolente maîtrise. Co-fondateur avec son frère Théo du label Tricollectif, « un projet un peu coquin, un peu fripon, sur fond de choses désuètes », il est habitué à visiter absolument tous les styles, du rock à Johnny Clegg1. Au côté du duo, c’est au compte-gouttes que s’invitent de discrets effets de studio.

Dans l’expression « jouer de la musique », le premier mot n’est pas anecdotique. Loin d’une fantasmagorie qui voudrait faire croire que l’artiste doit souffrir pour avoir du talent, ici tout semble léger. Y compris l’audace d’assumer l’impérieuse nécessité d’exprimer en musique des sentiments personnels.

La longue pièce qui donne son nom à l’album, Ève au jardin des délices, prend les atours d’un manifeste féministe, pointant le patriarcat de certains passages de la Bible et s’achevant sur une citation décomplexée de Julie Pietri : « Ève lève-toi et danse avec la vie ! ». Éclectique, on vous dit.

Benjamin Croizy