De Szilàrd Borbély. Folio, 2016 (réédition), 7,70 euros.
En hongrois, cet unique roman de Szilàrd Borbély porte un titre plus explicite : les Dépossédés. Il se déroule dans un village de l’est de la Hongrie à la fin des années 1960, à proximité de la frontière roumaine. Son sujet est fondamentalement la pauvreté et l’isolement de la campagne hongroise. Le village est vu par les yeux d’un enfant de sept ans. Par de multiples notations, l’auteur décrit précisément les conditions d’existence d’une famille paysanne pauvre, mais aussi la routine, la grossièreté et la brutalité de la vie du village dominé par les « nouveaux seigneurs », les dirigeants du kolkhoze.
Mais il y bien plus misérable que les paysans hongrois : les Tsiganes, méprisés, tenus à l’écart, et qui retirent leur chapeau avant de parler à un Hongrois, même à un gosse. D’ailleurs, l’habitude est d’appeler les chiens Tsigane. Les Juifs, il n’y en a plus, sauf un (ce qui n’empêche pas l’antisémitisme de s’exprimer en permanence...) : cet unique survivant de la déportation n’a pas osé demander où était passé tout ce qui avait été pillé dans sa maison par les villageois entraînés par les membres des Croix-fléchées (les nazis hongrois). La famille du narrateur est pauvre comme les autres mais surtout marginale parce que, bien qu’ils n’aient plus rien, la mère est la fille d’un koulak. Pour ne rien arranger, le père, qui perd tous les postes qu’il peut obtenir, serait en fait le fils de ce seul Juif survivant.
Le livre se déroule entièrement dans le village, mais il tord souvent le cou à la chronologie. Il exhale une immense tristesse. L’enfant aime les nombres premiers car ils sont seuls : ils ne se divisent que par eux-mêmes.
Ce roman a eu un grand succès en Hongrie. L’auteur l’a écrit après la mort violente de ses parents (qui vivaient toujours au village) et un procès interminable et insupportable pour lui. Il s’est suicidé en 2014... Dans une interview de 2013, année de la parution du livre, l’auteur soulignait que si la campagne hongroise a changé, le désespoir des paysans restent le même, ils restent des laissés pour compte, précisant même que si lui a pu s’en sortir et faire des études, il n’est pas certain que ce serait possible dans la Hongrie actuelle.
Henri Wilno