Scénario et dessin, éditions Le Lombard, 56 pages, 12,50 euros.
Grand Prix du Festival international de la ville d’Angoulême en 2017, Cosey1, scénariste, dessinateur et coloriste, s’est fait connaître par des BD d’un style original ou par des romans graphiques multi-récompensés. Sa série Jonathan, initiée en 1975, dans un Tibet encore en lutte armée, connaît son épilogue dans un Tibet colonisé de la pire des manières. « Le Tibet a été totalement sinisé. L’armée chinoise est maintenant en terrain conquis. C’est un pays occupé et phagocyté. Il y a plus de civils chinois que tibétains, et particulièrement aux postes clés. La langue tibétaine n’est plus enseignée que dans les petites classes. Il y a des caméras partout, jusque dans un minibus pour vingt personnes dans lequel j’ai compté six caméras », explique l’auteur. La piste de Yéshé n’est pourtant pas un manifeste pro-tibétain mais la conclusion de « l’une des plus belles aventures de la BD moderne » (Télérama). Une aventure plus spirituelle que temporelle où Cosey a préparé la sortie de son personnage avec soin et émotion. Un exercice difficile dont l’auteur suisse se sort avec une intelligence et un brio époustouflants. Chaque image est un album à elle seule.
Un long voyage
Jonathan est un peu le double de l’auteur avec qui, par un habillage fictionnel initié dès la première aventure, il entretient une correspondance et un journal. À la recherche de lui-même, de la vérité et de l’amour ou pour défendre une cause, Jonathan aura parcouru le Ladakh, le Népal, le Tibet central, l’Amdo, le Kham, l’Inde et la Birmanie, plus une incursion aux États-Unis. Avec la Piste de Yéshé, Cosey, triste et joyeux, pose le point final aux aventures de Jonathan.
C’est une lettre, reçue poste restante à Delhi la veille de son retour en Europe, qui entraîne Jonathan sur la piste de Yéshé, au Tibet. Là, installé dans un monastère perdu au cœur de l’Himalaya à 4 300 mètres d’altitude, alors que les « libérateurs » venus de Beijing cherchent à anéantir l’identité tibétaine, Jonathan, accompagné du moine Chamba, attend de longs mois pour, après de longues années, retrouver celle qui, devenue femme et militante, donnera une réponse à ses questions. Sur les pistes, au détour d’un col, il croise également quelques anciennes connaissances. Tel cet ancien combattant de la guérilla tibétaine devenu le « 6e Tulku Sunyata »2, activement recherché par les autorités chinoises. Jonathan s’initie aux rites et à la peinture tibétaine, tient son carnet mais l’hiver est long, la montagne dangereuse et le vieux Tulku est activement recherché…
Un album graphique vertigineux
En raison d’un « pass » retardé par les autorités d’occupation pour celle qui « marchait pieds nus sous les rhododendrons »3, Jonathan réalise un long voyage intérieur. La reconnexion de notre « héros » avec son passé procure à l’auteur l’occasion de donner des nouvelles des personnages clés de la série (Kate, Jung Lan, Drolma, Dzaza Dzong). Ce regard vers le passé est d’ailleurs signifié dès la couverture de l’album avec le reflet d’un Jonathan vieilli dans le rétroviseur de sa moto. Pour ces « flash-back », Cosey utilise une palette de gris qui ensorcelle le noir et blanc.
Les images et la mise en page des planches sont d’un graphisme vertigineux de toute beauté. Les couleurs sont magnifiques, notamment le bleu des ciels, les différents blancs de la neige, l’ocre des roches, des maisons et des gompas. Le carnet interne de voyage de Jonathan (planches 38 à 43), que Drolma lit en le pensant mort, fourmille lui aussi de trouvailles « naïves ».
La fin
Si dans cet album, comme dans tous ceux de la série, on se régale des paysages, de l’immensité des montagnes aux neiges éternelles, des espaces infinis, l’émotion est palpable à chaque page car on sait que le voyage s’arrêtera là et que Jonathan va inéluctablement retrouver son double, car c’est la fin. L’album peut se lire sans connaître la série mais il est certain qu’il vous donnera envie de connaître tous les autres tomes. Les fêtes approchent, c’est le moment !
- 1. Voir notamment l’interview qu’il nous avait accordée lors du festival d’Angoulême qu’il présidait en 2018 (l’Anticapitaliste n° 416 du 8 février 2018).
- 2. « Tulku » ou émanation d’un maître ou yogi. Ils sont tous recherchés par les autorités chinoises.
- 3. Drolma est celle qui va « pieds nus sous les rhododendrons » (tome 3 de la série).