D’après l’œuvre de Philip Kerr, scénario Pierre Boisserie, dessin de François Warzala. Éditions Les Arènes BD, 134 pages, 20 euros.
Berlin 1936. La ville s’agite. Les jeux Olympiques approchent et les SA sont partout. Pas pour rudoyer la population juive mais pour vider les rues de toutes les marques et panneaux les plus antisémites du régime et de ses affidés. Bernie Gunther, ancien commissaire de la police berlinoise, est devenu détective privé pour ne pas travailler pour l’État raciste et s’éviter pas mal d’ennuis aussi. Il est spécialiste en recherche de personnes disparues, chose courante depuis l’arrivée au pouvoir du parti national-socialiste. Hermann Six, un riche industriel, lui demande d’élucider le meurtre de sa fille Grete et de son gendre Paul. Très vite, Bernie se retrouve au cœur d’un complot qui implique les plus hautes sphères du nazisme : Göring, Heydrich, Himmler, la SS et la Gestapo. Que du beau monde et du bonheur en perspective !
Nous avons salué ici pratiquement tous les romans de Philippe Kerr dont cette fameuse Trilogie berlinoise. Adapter en BD une œuvre d’une telle puissance semblait une gageure et il a fallu du temps pour admettre que les auteurs avaient gagné leur pari1.
Des dorures du Reich au camp de concentration de Dachau
Après une soirée de mariage bien arrosée, en sortant de la salle des fêtes, Bernie est invité à rencontrer un avocat qui le conduit chez un monsieur fort riche, Herr Doktor Hermann Six. La fille de ce dernier et son beau-fils sont morts brûlés dans leur maison et des bijoux de très grande valeur ont disparu. Cependant quand on est un riche industriel de la métallurgie et qu’on voit poindre une guerre, potentielle source de gros profits à venir, il est bien difficile de croire à un accident ou à un vulgaire vol maquillé en crime. Surtout quand son principal ennemi en stratégie économique n’est autre que Göring et que son gendre bosse pour la Gestapo. L’intrigue du roman menait le détective sur plusieurs pistes, de la pègre traditionnelle aux différentes fractions du parti nazi et aux pourris de la Kripo (police criminelle) qui ont pris du grade depuis le départ de Bernie. Si le scénario de Pierre Boisserie reste fidèle à Kerr, il raccourcit un peu et ne va pas jusqu’à l’internement volontaire de Bernie à Dachau pour retrouver le suspect numéro un. L’univers concentrationnaire y est cependant bien présent et c’est toute la force de la BD comme des romans de Kerr de savoir « investiguer dans un régime de terreur et d’intimidation qui légitime le génocide des juifs et met police et justice à sa botte, […] comme de s’introduire dans l’Histoire (avec un grand H) sans la dénaturer par la fiction en y mêlant personnages et personnes réelles »2. La BD illustre au mieux l’ambiance délétère qui règne à Berlin pour les jeux Olympiques ainsi que le climat de haine et de dangerosité où évolue le détective.
La ligne claire pour mieux nous plonger dans les années 1930
Le dessin réaliste de François Werzala rend bien compte de l’univers de Philippe Kerr. Il croque un Bernie Gunther un peu fatigué sans illusion sur le genre humain, légèrement alcoolique, antinazi à une époque où une simple remarque sarcastique peut conduire au camp de concentration. Les tons bruns ou beiges utilisés par la coloriste Marie Galopin nous font voyager dans une ville de Berlin aujourd’hui disparue avec ses immeubles, places et boulevards. Des couleurs plus vives éclairent les robes des femmes de Berlin dont l’énigmatique et belle assistante de Bernie, Inge Lorenz, disparue, à son tour, en pleine enquête et pas pour une fugue. À la fin de ce tome 1, les JO sont terminés et les SA et autres nazis replacent, avec un air très satisfait, tous les panneaux antisémites et recouvrent les murs d’affiches à la gloire du Führer
Kerr en BD c’est finalement un sacré antidote contre le fascisme et nous pourrions en avoir diablement besoin dans les mois qui viennent.