Documentaire belge, sortie le 13 décembre, durée 1 h 28 min.
« Virer son patron ? Beaucoup en ont rêvé, celles-ci l’ont fait. »
S’organiser nous-mêmes
« Monsieur, réunies depuis une semaine dans des groupes de travail et en assemblée générale, les ouvrières de feue votre firme ont constaté ce qui suit : tout d’abord, nous constatons après une étude approfondie de notre travail, que nous pouvons parfaitement l’organiser entre nous, nous en concluons donc que vous êtes absolument inutile et parasitaire. Ensuite, nous découvrons que votre rôle principal a été de nous acheter notre force de travail à un prix négligeable pour la revendre à prix d’or. Nous en concluons que vous n’étiez pas seulement inutile, mais également expert en vol légalement organisé. Enfin, nous nous rendons compte à quel point vous nous aviez dressées les unes contre les autres afin de mieux nous exploiter. Nous sommes au regret de vous signifier votre licenciement sur-le-champ pour motif grave contre vos ouvrières. Le reste de nos décisions ne vous regarde plus. Nous vous prions d’agréer, monsieur, nos salutations auto-gérées. »
Cette merveilleuse lettre, c’est celle qu’a reçue, dans les années 1970, le patron des femmes de ménage de l’Université catholique de Louvain (UCL). Par ces mots, après de longs jours de grèves, elles lui signifiaient son licenciement symbolique et la création de leur entreprise auto-gérée, le Balai libéré, qui allait pendant quatorze ans leur permettre de ne plus avoir de compte à rendre qu’à elles-mêmes. Et si aucune n’était formée à diriger une société au départ, c’est grâce à la mise en commun des compétences et à une solidarité indéfectible que cette trentaine de travailleuses a pu vivre cette expérience inédite, l’entreprise se développant jusqu’à compter une centaine d’employéEs dans les années 1980.
Et aujourd’hui ?
Cinquante ans plus tard, alors que les patrons se succèdent désormais au fil des appels d’offres de l’UCL et que, course aux profits oblige, les cadences sont de moins en moins tenables, les employéEs actuels rencontrent celles qui ont mené cette lutte ainsi que certainEs des étudiantEs et syndicalistes qui les ont soutenues à l’époque, et se questionnent sur la possibilité, à nouveau, de fonctionner en autogestion. L’occasion de débattre sur le syndicalisme, sur le pouvoir du nombre et les façons de mener des combats. Comment s’organiser lorsqu’il n’existe aucune occasion de croiser ses collègues, et contre qui le faire quand l’entreprise qui nous emploie n’est qu’un nom sur un contrat ? Pourtant, aujourd’hui encore, le savoir et la maîtrise sont dans les mains des employéEs. La question reste donc la même qu’en 1975 : « Pourquoi un capitaliste au bout de la course pour récupérer les profits ? ».
Le Balai libéré est un documentaire inspirant qui invite chacunE à réfléchir à la valeur réelle de son travail, et au bien-fondé de l’autogestion. Après tout, il y a cinquante ans non plus, elles ne croyaient pas que virer son patron était possible...