Publié le Samedi 1 février 2025 à 12h00.

Le Chant du prophète, de Paul Lynch

Éditions Albin Michel, 2025, 304 pages, 22,90 euros.

LIrlande est peut-être aujourd’hui le pays occidental le moins susceptible de voir l’extrême droite arriver au pouvoir (pour le moment). Cela n’empêche pas Paul Lynch d’explorer cette possibilité du fascisme dans ce roman fort, lauréat du Booker Prize 2023.

État d’urgence

C’est un soir humide, comme un autre, à Dublin. Deux hommes frappent à la porte d’Eilish Stack, employée dans une compagnie pharmaceutique. Ce sont des membres d’une nouvelle police secrète, le GNSB, mise en place par le Parti de l’Alliance nationale après son accession au pouvoir. Ils souhaitent s’entretenir avec son mari, enseignant et syndicaliste, qui prépare une journée de grève. Ce dernier se rend au commissariat plus tard, et ­disparaît sans laisser de traces.

Très vite, l’état d’urgence se met en place, les libertés sont supprimées, la sortie du territoire interdite, une guerre civile éclate. On parle de camps d’internements. Eilish se débat comme elle peut dans ce contexte. En plus de la quête de justice, elle doit s’occuper de son père en plein déclin cognitif, de ses quatre enfants dont le plus jeune est encore un bébé… Et au fur et à mesure, l’oppression s’installe.

Le fascisme, subi à hauteur de femme

La force de ce roman est de nous faire vivre ce point de bascule vers le fascisme à la hauteur de cette femme. Sans être un roman à thèse, il fait vivre et ressentir ce que la dictature fait aux corps et aux esprits, comment il les plie, comment il les sidère et les paralyse. Le Chant du prophète est un roman tout en perceptions et sensations, et c’est aussi ce qui en fait sa force.

À l’heure où Trump retourne à la Maison Blanche, où l’extrême droite va gouverner l’Autriche et s’apprête à faire une percée fracassante en Allemagne, à l’heure où tout est fait pour dédiaboliser le RN et lui offrir le pouvoir, ce roman est essentiel.

Sally Brina