Entretien. Responsable de Sport et Plein Air, la revue de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail), Nicolas Kssis nous présente notamment de quelle façon une autre pratique sportive est possible.
Peux-tu nous présenter la FSGT, que peut-être nos lecteurs connaissent mal, voire pas du tout ?
La FSGT est l’héritière du mouvement sportif ouvrier français, né en France en décembre 1907 de la volonté du premier journaliste de l’Humanité, Henri Abraham Kleynhoff. Pour ce qui la concerne directement, elle a été fondée en décembre 1934 par la fusion de deux organisations, la Fédération sportive du travail (FST), membre de l’Internationale rouge des sports, basée à Moscou, en URSS, et de l’Union des sociétés sportives et gymniques du travail (USSGT), proche de la SFIO. Elle s’avéra en fait un test grandeur nature de la dynamique unitaire du Front populaire.
La FSGT s’est ensuite fortement développée en prenant à bras le corps le combat antifasciste (le soutien à l’Olimpiada Popular à Barcelone, nombre de ses membres iront se battre ensuite dans les brigades ou chez les anarchistes), la bataille pour le sport féminin, ou encore l’ouverture de toutes les disciplines, dont le ski, aux milieux populaires. Toutefois au fil du temps, son discours et son positionnement a évolué, passant de la défense d’un sport rouge « classiste » à une conception plus large d’un sport populaire. La fédération a formalisé cette transformation en précisant qu’elle était passé du « sociopolitique » au « socioculturel ».
Plus pratiquement, la FSGT constitue désormais une fédération omnisports (une centaine de disciplines y sont présentes), qui rassemble 270 000 pratiquants dans 4 700 associations, sur tout le territoire et outre-mer. Elle continue de défendre une approche différente du sport, notamment en s’appuyant sur les innovations qui germent dans ses clubs, permettant au plus grand nombre de s’adonner à leur « activité », comme le foot à 7 auto-arbitré, la lutte féminine ou encore l’escalade « en tête ». Il s’agit de fait autant de promouvoir les activités physiques et sportives (APS) que de former des citoyens.
En quoi peut-on dire que la FSGT est une « fédération sportive engagée » ?
Cette question pose problème et demande d’abord quelques précisions. Son histoire, comme j’ai répondu plus haut, est indéniablement liée à celle du mouvement ouvrier et pour partie communiste. Ce premier fait lui transmet une teinture singulière dans un monde sportif qui aime à rappeler son « apolitisme », quitte à faire preuve d’amnésie ou de mémoire sélective. Toutefois si l’engagement de la FSGT peut prendre sens aujourd’hui, cela porterait davantage sur le rapport à la vie associative, dont elle ambitionne qu’elle responsabilise davantage qu’elle délègue, sur la valorisation du bénévolat (par la formation notamment) ou bien sur l’adaptation des règles selon les besoins ou les envies des pratiquants.
Cependant le fort investissement sur le terrain international – comme en Palestine depuis 1982 (elle fut la première fédération sportive à reconnaître le sport palestinien tout en entretenant des relations avec les « travaillistes » israéliens), avec le Japon ou l’Algérie, aujourd’hui les Sahraouis, sans oublier notre consœur l’UISP en Italie – marque une forte spécificité. Elle reste par ailleurs sensible à ce qui se passe dans le reste de la société, comme les mobilisations contre la loi travail pour évoquer l’actualité récente. Elle a aussi voulu s’ouvrir au fil du temps à toutes les formes d’émancipations, par exemple avec l’arrivée de clubs LGBT, ou à des pratiques nouvelles telles que le double dutch, le skate ou le « pied-poing » en sport de combat.
Est-il juste d’avoir une lecture de classe du sport ? Sports de riches contre sports populaires...
C’est infiniment plus complexe. Qu’est-ce qu’un sport de riche ? S’il est question de moyens et d’accès aux infrastructures, il est indiscutable qu’au sein de chaque discipline, un réel fossé existe et qui ne touche pas que les clubs FSGT. Le football pratiqué dans les quartiers nord à Marseille, dans des stades indignes avec parfois des douches insalubres, fait pâle figure devant les investissements publics déployés pour soutenir l’OM via la « rénovation » du vélodrome... De même, les disciplines olympiques, qui envoient donc des délégations aux JO, bénéficient d’un traitement de faveur de la part du gouvernement.
En outre, il est de plus en plus difficile de répondre, pour l’ensemble des associations, à leur mission de service public du sport, quand leur subvention sont conditionnées à leur soumission à des politiques de « publics cibles », pendant que les diverses réformes comme la RGPP ou la réforme territoriale, conjuguée à la « crise », diminuent drastiquement les financements des collectivités.
Peut-on dire que l’un des clivages importants dans la pratique sportive se joue entre amateurs et professionnels ?
La séparation entre amateurs et professionnels est une division qui date quelque peu. Elle sent encore le parfum quelque peu réac de Pierre de Coubertin. Elle ne permet pas de saisir à quel point ces deux mondes continuent malgré tout de s’interpénétrer. Il ne faut tout d’abord pas se laisser aveugler, surtout après l’Euro 2016, par le cas des footballeurs professionnels dont les salaires astronomiques cachent le fait qu’un grand nombre de « sportifs professionnels » vivent avec des revenus bien plus modestes et « dans la norme ». Enfin rappelons que les stars du ballon rond, souvent des jeunes issus des quartiers populaires, sont des « riches sans pouvoirs », contrairement à une catégorie socialement équivalente comme les patrons. Ils peuvent facilement alors servir de défouloir à un populisme alliant « haine des parvenus » et « mépris de classe », avec une forte dose de racisme.
Le clivage n’est pas tant entre amateurs et professionnels, que, il faut encore le souligner, dans les moyens mis à la dispositions de chaque citoyen et citoyennes pour accéder au plaisir du sport. Enfin, certains « amateurs » pratiquent peut-être leur sport de manière tout autant compétitive voire élitiste que les pros. L’existence du dopage dans les niveaux de compétition les plus bas en constitue un signe indéniable.
Dans un système fondé sur l’économie marchande et la concurrence, un autre sport est-il possible ?
Beaucoup répondraient non, surtout issu de votre courant politique. Et certains de leurs arguments sont difficilement contestables. Toutefois, au même titre qu’on ne rejette pas la création artistique et l’enseignement de la musique dans les conservatoires au prétexte qu’Hollywood existe ou que les majors s’engraissent sur le dos des musiciens, nier l’importance du sport dans la culture populaire serait une erreur. La pression du modèle sportif dominant se sent en effet jusque sur les bords des terrains, dans le comportement des parents parfois qui poussent leurs gamins vers ce qu’ils pensent être une chance pour eux, quitte à écraser le copain ou la copine...
Il existe toutefois des espaces possibles pour développer d’autres formes de pratiques sportive (refuser par exemple les sélections, etc.) qui s’appuient sur des principes différents, comme la responsabilisation et la prééminence du jeu – le cas du foot à 7 auto-arbitré –, la dédramatisation de la pratique et la vie associative (en escalade), l’adaptation des règles pour les rendre toujours plus émancipatrices (mixité en volley), etc.
C’est un combat permanent car effectivement la tendance générale pousse plutôt à l’inverse. Notons toutefois que ces derniers temps une aspiration semble grandir pour appréhender le sport autrement, je pense aux revendications des associations de supporters, la contestation des multinationales du sport comme la FIFA ou le CIO, l’orientation vers des formes moins « violentes » ou compétitive de pratique d’un grand nombre de gens. Une fois encore, il faudra aussi que les organisations extérieures (politique, syndicale, etc.), avec lesquelles la FSGT construit souvent des partenariats et des collaborations régulières (notamment le Secours populaire), intègre une véritable prise en compte de cette fameuse question sportive.
Propos recueillis par Manu Bichindaritz