Publié le Mercredi 24 novembre 2021 à 13h44.

Le droit du sol, d’Étienne Davodeau

Éditions Futuropolis, 216 pages, 25 euros.

PassionnéEs de préhistoire, marcheurs, anti-nucléaire – cumul assez fréquent sans doute parmi le lectorat de l’Anticapitaliste – ce livre est pour vous ! Tâchez de le glisser dans la liste de vos cadeaux de Noël... Si vous ne faites (pas encore) partie d’aucune de ces catégories, dépêchez-vous de lire la bande dessinée d’Étienne Davodeau, de laquelle pourrait venir la révélation !

Déambulation à fleur de Terre

Réussite graphique et pédagogique, cet ouvrage, très documenté, est rempli de la poésie inhérente à la déambulation à fleur de Terre. Le dessin, très sobre, constitue en lui même un hommage aux artistes de Pech Merle1, qui ont orné cette grotte il y a plus de 20 000 ans et se trouvent au départ de ce curieux défi : relier, à pied, via les chemins marqués sur le sol, les témoignages légués aux générations futures et enfouis sous le sol, en des lieux séparés de plus de 800 kilomètres et en des temps distants de plusieurs milliers d’années. Autrement dit, marcher de la grotte de Pech Merle, dans le Lot, au centre Cigéo de Bure2, dans la Meuse.

Chemin faisant

La narration, au contact direct des pierres du chemin, touche aux plus intimes convictions des marcheurEs au long cours et à leur pratique quotidienne de prendre pleinement la mesure du monde qui les englobe et de la nécessité de composer avec le sol lui-même... Alors, se demander pourquoi l’on marche – pourquoi l’on dessine, affaires de traces – n’a pas de sens, ce n’est pas la question. Marcher, c’est parcourir la peau de la Terre, en toute humilité et (re)devenir partie vivante du tout Nature – fût-elle blessée, entamée, entachée, par l’activité humaine –, et philosopher, chemin faisant. La balade, ici, commence et se termine sous terre, cela nous amène à questionner notre rapport aux entrailles de notre planète : depuis le mystérieux legs de Sapiens, au fil des siècles, des artistes souterrains – qui nous font tant rêver – jusqu’à l’insupportable intrusion, pour les millénaires à venir, des nucléocrates de Cigéo – quel cauchemar !

Sapiens sapiens, écrivainE marcheurE

Davodeau marche au milieu de ses (nos) semblables, avec lesquels il échange de petites préoccupations du quotidien – manger, dormir, trouver son chemin – mais il sort des sentiers battus. Il ose progresser, littéralement, à rebours des chemins de Compostelle – et il est très mal vu d’aller à contre-courant ! En outre, il fait œuvre didactique en s’entourant d’invitéEs passionnantEs parmi lesquelEs : Bertrand Defois, du centre de préhistoire de Pech Merle, Ariane de la Chapelle, conservatrice au musée du Louvre, spécialiste de l’histoire du papier, Bernard Laponche, ingénieur et ex du CEA, Marc Dufumier, spécialiste en agroécologie, Michel Labat, militant emblématique de l’opposition au centre Cigeo de Bure, Valérie Brunetière, sémiologue... TouTEs viennent exposer leurs connaissances savantes et sensibles, fruit de leur travail ou de leurs luttes, et finalement se rejoignent pour évoquer la trace. Davodeau les associe à son périple et mène avec elles et eux grande conversation – mais seul... Davodeau-marcheur sait qu’il en est ainsi : sur son chemin, l’on parle seulE avec des amiEs, avec des camarades qui, bien qu’absentEs, sont vraiment là... quand bien même ils et elles n’ont pas quitté la terrasse d’un café parisien ou un banc dans un square. Il nous délivre ainsi, à la façon des grands écrivains-marcheurs, un ouvrage dont le discours émane d’un savoir incorporé et se construit pas à pas !