Éditions 10/18, 216 pages, 7,60 euros.
Paru en 2021, édité en poche en avril 2022, ce roman a été un immense succès en Argentine, sans doute parce qu’il épouse, à sa façon, les codes du roman fondateur des nations latino-américaines et que, dans le même temps, il constitue une ode à un monde nouveau, sous une plume acérée, sans concessions, porteuse d’une parole féministe et queer...
Une belle histoire
China Iron est la jeune femme qui donne son nom au roman. Ce nom étrange, elle se l’est forgé. Son histoire, c’est la fuite devant sa condition de très jeune mère pauvre qui laisse ses deux enfants à la charge d’une autre – considérant qu’elle est décidément trop jeune pour y rester asservie, leur père est bien parti, lui ! Elle s’aventure au travers du désert argentin, y rencontre Liz, une jeune Anglaise qui voyage aux commandes d’un chariot tiré par des bœufs, à la recherche de terres acquises par Oscar, son mari, quelque part au cœur de cette immensité, où ils doivent se retrouver. Puis Rosario, jeune gaucho à la tête d’un troupeau fantomatique, que l’on pourrait dire recomposé, constitué, Argentine oblige, de vaches – mais pas que – aux oreilles desquelles il murmure pour en obtenir qu’elles le suivent sans brutalité.
Une épopée marquésienne ?
Cet équipage insolite croise la destinée du colonel, personnage à la Marquez, autoritaire et cultivé, alcoolique et brutal, mondain malgré tout, qui fait régner l’ordre sur son estancia, impose le travail aux gauchos, ces sauvages, s’il le faut par la terreur, au nom de la construction de la nation argentine moderne. Reçues comme des reines, Liz et China Iron profitent à plein de son hospitalité, l’occasion pour elles de faire plus intimement connaissance. La grande fête donnée par l’Anglaise, virant à l’orgie, sert alors de diversion à la fuite d’un nombre suffisant de gauchos pour voir venir...
Une utopie fondatrice
La fuite se poursuit, vers les promises terres de l’intérieur, où tout le monde se retrouve : le mari de China Iron et leurs enfants, Oscar, qui n’a pu que constater que les terrains qui lui ont été cédés n’étaient pas à vendre – propriété légitime des indiens autochtones –, les gauchos évadés, leurs chevaux, Rosario et ses troupeaux, les Indiens (plus ou moins) accueillants et leurs champignons – évocateurs d’un certain peyotl castanédien. Toutes et tous établissent ensemble un Eden aquatique où l’amour règne, débarrassé des frontières nationales, raciales, sociales et des marques de genre...
Un mythe subverti…
… comme si l’auteure voulait inventer un mythe fondateur alternatif, un roman national argentin d’un nouveau genre ! Elle revisite le poème épique de l’écrivain José Hernandéz (1872), El Gaucho Martín Fierro. Dans le roman, revu et corrigé par l’auteure, qui promeut une vision queer de la société idéale, Martin Fierro tient son rôle mais ici « le héros » est sa femme, et son nom, China Iron, dit tout ! Fierro (fer en espagnol) se traduit par Iron en anglais, et China désigne une femme indienne...