Entretien. Collaborateur au Monde diplomatique, David Garcia revient avec nous sur les liaisons dangereuses qui unissent médias et sport professionnel.
Différents grands médias télévisuels se livrent une concurrence féroce pour avoir le droit de retransmettre certains grands événements sportifs. Comment expliquer l’explosion des coûts de ces droits ?
La genèse de cette course aux armements remonte aux années 1970. Jusqu’alors, non seulement les fédérations sportives ne gagnaient pas d’argent avec les retransmissions télés, mais elles devaient même payer les chaînes pour voir leur spectacle diffusé à une heure de grande écoute ! Le grand tournant intervient en 1974, avec l’élection du Brésilien João Havelange à la tête de la FIFA. Ce dernier arrive au pouvoir avec l’aide du fondateur et patron d’Adidas, Horst Dassler, qui a acheté les voix des électeurs à grands coups d’enveloppes bourrées de dollars. Ainsi est né le foot business, sur une gigantesque fraude électorale qui s’est depuis maintes fois reproduite.
Une fois président, Havelange laisse la main à son associé, qui lui souffle l’idée de vendre à prix d’or le droit de transmettre des matches à la télé. Le sport devient poule aux œufs d’or. Coca Cola et consorts paient des millions pour être visibles aux Jeux olympiques ou pendant les coupes du monde, et les chaînes de télévision s’arrachent des droits au terme de ventes aux enchères toujours plus folles.
Et quand la présidente de la République d’Argentine Cristina Kirchner veut rendre gratuits les matches de première division argentine, elle se fait « comme par hasard » tailler en pièces par Clarin, le quotidien national dit « de référence ». Comme par hasard car ce journal appartient au groupe détenteur des droits télés du foot argentin, qui se bat pour préserver son pré carré commercial, au nom du sacro-saint principe de concurrence. Et tant pis pour les Argentins fauchés dingues de foot, condamnés à se priver de leur sport favori, ou obligés de se saigner pour avoir leur dose de ballon rond...
Le football est donc un des exemples emblématiques. Quelle responsabilité porte la FIFA, l’UEFA... dans cette surmédiatisation du ballon rond ?
La responsabilité de la FIFA et de l’UEFA est écrasante. Plus la médiatisation est forte, et plus leurs bénéfices sont colossaux. À tel point que l’UEFA a pour ainsi dire tué la glorieuse incertitude du sport. Aujourd’hui, seuls les clubs les plus riches ont une chance de gagner la compétition reine, la Ligue des champions. Celle-ci est l’aboutissement ultime de la logique capitaliste appliquée au sport de compétition. Si les plus grands clubs ont toujours trusté les places d’honneur, jusqu’au début des années 1990, les clubs moyens avaient une chance de l’emporter. On a ainsi vu Nottingham Forest, un club anglais plutôt modeste, remporter la coupe des clubs champions pour sa première participation, en 1979. Le Steau Bucarest battra le FC Barcelone en finale de la Coupe des champions, en 1986. Et l’Étoile rouge de Belgrade remportera ce même trophée face à l’Olympique de Marseille de Bernard Tapie, pourtant beaucoup plus fortuné, en 1991. Des clubs d’envergure moyenne, issus de « petits » pays du foot. Dans les années 1970 et 1980, les Néerlandais de l’Ajax d’Amsterdam éclaboussaient les terrains d’Europe de leur classe, et gagnaient. La Belgique gagnait des trophées. Une époque révolue depuis que les grands clubs ont fait pression sur l’UEFA pour changer le mode de sélection et d’élimination de la « C1 ». Jusqu’en 1992, seuls les clubs champions pouvaient participer à la Coupe des champions, tous les pays d’Europe étaient représentés et les tours étaient à élimination directe. Trop risqué pour les super riches – Silvio Berlusconi en tête, propriétaire du Milan AC – qui ne voulaient plus risquer de se faire sortir par des sans-grade.
Aujourd’hui, la Ligue des champions est le théâtre de l’affrontement des meilleurs clubs des plus grands championnats. Avec une surreprésentation des plus riches, les Espagnols, Anglais, Allemands et Français, au détriment des « petits ». Lesquels doivent batailler lors de tours préliminaires pour avoir une chance de disputer les matches de « poules », ce qui arrive rarement. Ce système de poules est destiné à limiter les risques d’élimination précoce. En effet, un club riche possède un effectif qui lui permet de disputer de nombreux matches et de surmonter un mauvais résultat à l’issue d’un « jour sans ». À l’inverse d’un club dépourvu de vedettes qui peinera à briller sur la durée. Depuis 1993, aucun petit club n’a remporté la Ligue des champions. De façon concomitante, les droits télés ont explosé, pour le plus grand bonheur des clubs, des joueurs stars surpayés et des dirigeants de l’UEFA, dont le pouvoir est en croissance exponentielle.
L’association Acrimed pointe régulièrement les copinages et complaisances des médias avec différentes personnalités très « discutables », tel récemment Michel Platini... Une réflexion ?
Les médias sportifs se distinguent davantage en général par leur connivence avec les vedettes et les institutions du sport que par leur esprit d’indépendance. Ainsi l’Équipe est un média qui agit davantage comme un pouvoir que comme un contre-pouvoir. En situation de monopole depuis sa création en 1946, le quotidien sportif a créé bon nombre de grands événements sportifs, en particulier la Coupe d’Europe des clubs champions, ancêtre de la Ligue des champions. Le rapport de complaisance avec les institutions du sport, le Comité international olympique, la FIFA, ou l’UEFA, est inscrite dans ses gênes. Longtemps, l’Équipe a déroulé le tapis rouge au très controversé Juan Antonio Samaranch, le président du CIO, ex-ministre des Sports de Franco, et à Joseph Blatter, ex-patron de la FIFA, dont l’action corruptrice est notoire. Et encore plus au français Michel Platini, président déchu de l’UEFA, dont l’Équipe a été le porte-parole zélé. Par suivisme, cocardisme, et manque de professionnalisme.
On le sait, le sport est un vecteur puissant des « valeurs nationales », de l’exaltation de la nation rassemblée derrière ses sportifs, etc. En quoi les médias relaient-ils et amplifient-ils cet aspect des choses ?
De même que les médias sportifs ont roulé aveuglément pour Platini, ils soutiennent sans réserve et a priori les clubs, équipes et sportifs nationaux. Plutôt que de s’en tenir au strict aspect sportif, les médias exaltent le sentiment patriotique, autrement plus vendeur. Il ne faut pas y voir nécessairement l’adhésion à des valeurs nationales. Les patrons de presse sont bien plus cyniques et mercantiles. Leur idéologie est l’idéologie dominante, qui épouse la courbe des ventes et de l’audimat...
Propos recueillis par Manu Bichindaritz