De Raphaël Confiant, Éditions Caraïbeditions, 2017, 391 pages, 21,30 euros.
L’autobiographie imaginée de Frantz Fanon par Raphaël Confiant, né lui aussi en Martinique et auteur de nombreux romans tant en français qu’en créole est un récit de la vie, des combats et de la mort prématurée, à 36 ans, de l’auteur des Damnés de la Terre, de Peau noire, masques blancs et de l’An V de la révolution algérienne. Mais pas seulement…
Dans la peau de Fanon, Raphael Confiant nous fait redécouvrir ce militant révolutionnaire, anticolonialiste intransigeant mais aussi très bon joueur de football et médecin psychiatre ayant travaillé avec le professeur Tosquelles à Saint-Alban en Lozère, pratiquant la « psychopathologie institutionnelle », soit une psychiatrie bienveillante qui utilise le lieu de soins comme élément thérapeutique et traite le sujet malade avec respect.
Improbable itinéraire de la Martinique à la Lozère jusqu’à l’hôpital de Blida/Joinville en Algérie où Frantz Fanon, devenu pour ses camarades/frères de la willaya IV) Ibrahim Omar Fanon, va soigner autrement musulmans ou Européens, appliquer les principes novateurs et progressistes de la « psychothérapie institutionnelle » et même, comme à Saint-Alban pendant la Résistance, permettre l’accueil au sein de son hôpital de résistants du FLN blessés.
De longs et passionnants passages aussi sur les débats avec les chefs du FLN, dont Abane Ramdane, un des principaux théoriciens de la révolution algérienne, autour de l’universalité du combat de Frantz Fanon et de son souhait de voir naître une Algérie égalitaire et multiculturelle…
Des retours sur ses premiers engagements militaires pour délivrer la France du nazisme et ses premières déceptions et désillusions concomitantes à sa prise de conscience antiraciste, contre le colonialisme et les nantis, mais aussi ses désaccords « politiques » avec le chantre de la négritude Aimé Césaire qu’il admirait par ailleurs comme un merveilleux poète…
De l’hôpital psychiatrique de Blida/Joinville et ses relations avec les « pensionnaires » et non plus des « malades incurables » à sa démission et son départ pour la Tunisie, son entrée au GPRA (bien qu’il ait toujours refusé le pouvoir) où il devient un des représentants de la révolution algérienne en cours auprès de nombreux pays africains, cette autobiographie imaginaire nous conduit jusqu’à sa maladie et sa mort en 1961.
Son inhumation se fera en terre algérienne, sa terre. Sa dépouille sera portée de nuit par ses camarades, ses frères, franchissant clandestinement la frontière et les barbelés électrifiés sous la menace des fusils et des bombardiers de l’ordre colonial français.
Comme le roman d’une vraie vie qui nous redonne le goût de relire Fanon, ce « guerrier-silex » selon la belle formule d’Aimé Césaire, mais aussi « cet insurgé au nom de toute l’humanité opprimée », comme l’écrit Raphaël Confiant.
En ces temps de confusion politique et de délitement des convictions révolutionnaires et internationalistes, cet ouvrage fait du bien à la pensée et à l’engagement pour une vie meilleure, pour un autre monde.
Thomas Delmonte