L’ouvrage de Juliette Cadiot et Marc Elie fournit en peu de pages une analyse relativement approfondie du Goulag dans ses diverses composantes.
Aux camps où des détenus sont astreints au travail forcé s’ajoutent les zones de relégation où les exilés sont contraints de résider et de travailler sous la surveillance de la police politique. Entre 1930 et 1952, au moins 18 millions de personnes ont purgé une peine de détention pénale. Avec les quelques 6 millions d’exilés et les prisonniers de guerre (suite à la Seconde Guerre mondiale), on dépasse les 28 millions. 1,6 million de détenus sont morts dans les camps et de l’ordre d’un million d’exilés ont péri durant le transport.
Divers régimes de travail
Les détenus des camps connaissent la situation la plus insupportable : pour une large part, ils travaillent et vivent dans des conditions qui, au mieux, infligent à leur santé des dommages irrémédiables. Les rations alimentaires, déjà insuffisantes, sont réduites si la norme de travail n’est pas respectée et une partie en est détournée par l’administration des camps, les gardiens et les truands.
Cadiot et Elie soulignent le lien indissoluble entre stalinisme, police politique et Goulag. Certes, il poursuit une « tradition russe » (le tsarisme recourait au travail forcé et à l’exil en Sibérie) tandis que, dès décembre 1917, les bolcheviks (qui doivent faire face à la contre-révolution et à la guerre civile) créent une police politique (la Tchéka) et en 1923 mettent en place le premier camp de travail des îles Solovki destinés aux opposants politiques et « criminels contre l’État ». À la fin des années 1920, le système se transforme et le Goulag devient l’instrument privilégié de la terreur stalinienne qui atteint son paroxysme en 1937-1938. Elle vise d’abord les opposants (réels ou supposés) ; parmi eux, les trotskistes en sont la cible privilégiée et largement voués à la mort.
Au-delà des « politiques »
Le champ de la répression s’élargit avec l’« éradication » des « koulaks » lors de la collectivisation des campagnes. Sont également envoyés au Goulag les marginaux, les « asociaux », les coupables d’ « indiscipline dans le travail ». Les « éléments socialement suspects » sont aussi susceptibles d’être déportés ainsi que les délinquants de droit commun et, parmi ces derniers, les membres de la pègre (qui jouissent d’une situation privilégiée dans les camps).
La sortie du Goulag est largement arbitraire. Entre 20 et 40 % des effectifs sont libérés chaque année entre 1934 et 1953. Mais la libération ne signifie pas la liberté de quitter la zone de détention ou d’exil.
Un empire industriel
Le Goulag n’a pas pour seul logique la répression : il est à la fois un « instrument de terreur et d’expansion industrielle ». Il est fonctionnel au modèle de croissance économique stalinien, extensif et hyper-volontariste. À son apogée (le début des années 1950 avant la mort de Staline), détenus et exilés représentaient entre un cinquième et un quart de la main-d’œuvre industrielle.
Intégrés dans l’économie soviétique, les camps en partagent les maux et notamment les gaspillages et le maquillage des indicateurs de résultat. En fait, l’empire industriel de la police politique coûte davantage à l’État qu’il n’apporte de bénéfices. Tant que Staline est vivant, il est impossible de le remettre en cause. Sa mort en 1953 marque un tournant. Le système se rétrécit progressivement et disparaîtra dans les années 1960 (ce qui ne signifiera pas la disparition de l’arbitraire policier – certes atténué au regard de la terreur stalinienne).
Les auteurs ne cèdent pas à des raccourcis qui les amèneraient, par exemple, à soutenir qu’Octobre débouchait inéluctablement sur les camps. Pour ceux qui se refusent à assimiler stalinisme et socialisme, un bilan sans concession des camps est une nécessité.
Henri Wilno
Histoire du Goulag, Juliette Cadiot et Marc Elie, La Découverte, 2017, 10 euros