Fils d'immigrés mexicains, ouvrier dans l'automobile à Detroit, Sixto Rodriguez publie, à l'orée des années 70, deux albums sur un label de Motown. Les disques ne se vendent pas et Rodriguez repart travailler dans le bâtiment, milite au côté des ouvriers et des précaires de sa ville, se présente même aux élections municipales.Rodriguez devient pourtant très populaire en Afrique du Sud, alors en plein apartheid, où il aurait vendu 500 000 disques. Malgré la censure, la jeunesse sud-africaine (surtout blanche), étouffée par une société conservatrice et isolée du reste du monde, trouve dans les chansons de Rodriguez, ancrées dans la réalité sociale de sa ville (I wonder, Sugar man, This is not a song, it’s an outburst : or, the establishment blues) un écho à ses aspirations et la bande-son de sa propre contestation du régime. Le quiproquo est total : Rodriguez ignore son succès en Afrique du Sud ; et ses fans sud-africains, qui ne connaissent de lui que la pochette de ses albums, sont persuadés qu'il est une célébrité aux États-Unis et le transforment en mythe, la rumeur courant même que Rodriguez se serait suicidé sur scène.Deux fans décident pourtant de partir à sa recherche, et le retrouvent à Detroit, dans la modeste maison où il vit maintenant depuis 40 ans. C'est ainsi qu'en 1998 Rodriguez fait une tournée à guichet fermé en Afrique du Sud, où il est accueilli triomphalement, à sa plus grande surprise.Le film Sugar man, sorti confidentiellement le lendemain du jour de Noël, relate cette recherche et l'émouvante rencontre entre Rodriguez et son public. Les rééditions des albums permettent de découvrir les chansons de Rodriguez, que d'aucuns considèrent aujourd'hui comme l'égal d'un Dylan – la constance politique en plus. À voir ces images, on se dit que la justice existe ; et à écouter Rodriguez, que la contestation ne pourra plus se passer de ses chansons, encore brûlantes en ces temps d'agonie du système.Julien LanoliFilm : Sugar man de Malik Bendjelloul, sortie en salle le 26 décembre 2012Albums : Cold fact (1970, Light in the Attic, réédition), Coming from reality (1971, Light in the Attic, réédition), Searching fro Sugar man (2012, Sony, bande originale du film).