Éditions Anamosa, 2019, 80 pages, 9 euros.
Ce petit livre est paru dans la collection « Le mot est faible » chez Anamosa. L’idée est de prendre un mot, ici « peuple », pour essayer de le définir, de le comprendre, de préciser son contenu ou celui qu’on veut bien y mettre.
Comme indiqué en introduction « il s’agit de s’emparer d’un mot dévoyé par la langue au pouvoir, de l’arracher à l’idéologie qu’il sert et à la soumission qu’il commande pour le rendre à ce qu’il veut dire ». C’est une maître de conférence de l’université de Rouen, Déborah Cohen, qui s’attache à décrypter ce mot avec lequel, à gauche au sens large, « nous n’osons pas ». Nous ne sommes pas forcément à l’aise pour l’utiliser, tant la droite, l’extrême droite, souverainistes divers et patriotes l’utilisent à outrance, effaçant ainsi la catégorisation de la société en classes sociales et les notions de domination ou d’exploitation d’un camp sur l’autre.
Le peuple : un ensemble opprimé et dominé
L’autrice se penche sur l’histoire de la société et des idées, elle parle philosophie, citant Marx et Engels, puis Tocqueville, Foucault, le libertaire Kropotkine et d’autres encore, réfléchissant sur des mots équivalents ou proches, qui sont la marque du19e siècle, comme « prolétariat », « classe ouvrière », sur un langage et une conscience de classe comme produits de structures sociales en pleine transformation.
Le mot « peuple » n’évoque pas forcément la « classe » mais tout de même un ensemble opprimé et dominé. « Peuple ferait le lien entre du divers, entre le paysan, l’artisan, le fonctionnaire, le prolétaire, l’intellectuel, l’installé ou le migrant. Le mot peut donc servir à désigner la réalité sociale des dominéEs ». On le voit quand il y a des révoltes populaires, comme celles des peuples arabes au printemps 2011 ou encore celle des Gilets jaunes en 2018, deux exemples cités dans le livre. Bien sûr, depuis il y a toutes ces luttes des peuples en Algérie (le Hirak), à Hong-Kong, au Chili, au Yémen…
« Tant que le peuple ne parle pas, il est la foule, la masse »
L’autrice en vient à expliquer comment ce « peuple » est mal traité, ignoré, invisibilisé et méprisé par les dominants. « En pays républicain, tant que le peuple ne parle pas, il est la foule, la masse. Or qui décide ce qui est parole et ce qui n’en est pas ? Comment s’exprimer quand on n’est pas écouté ? On est forcément hors du langage quand ce qu’on dit n’est jamais entendu ». Cela revient à parler de la violence de la domination, de la langue ou du langage comme outil aussi de domination des oppresseurs sur les dominéEs.
Au fil des pages, il y a bien une discussion et une réflexion bien plus large sur le monde injuste dans lequel on vit et quelles forces peuvent le renverser, sur la manière dont on milite dans la période actuelle, avec les transformations de notre camp social, celui des oppriméEs. Avec cette dernière citation : « Nous cherchons un drapeau rouge et c’est un gilet jaune qui surgit, nous sommes absolument désemparéEs. Nous sommes tellement éprisEs du peuple du passé que nous ne voyons pas ce qui est là. Un seul être nous manque, et tout est dépeuplé ». Au final, il s’agit d’une discussion très utile, théorique et philosophique mais aussi très concrète pour les militantEs.