Publié le Vendredi 3 octobre 2025 à 14h00.

Put Your Soul on Your Hand and Walk, de Sepideh Farsi

Documentaire, 1 h 50 mn. En salle depuis le 24 septembre 2025.

Sepideh Farsi donne à entendre, à voir, à rendre sensibles des fragments de vie à Gaza entre avril 2024 et 2025. Le dispositif est simple : filmer son téléphone lorsqu’elle communique avec la photojournaliste Fatma Hassona, des plans de transition avec des extraits de journaux télévisés, et des œuvres de la photographe assassinée par les bombes israéliennes. En entrant en salle nous savons donc que nous allons assister, en spectateurE impuissantE, aux dernières paroles de Fatma.

Le rythme d’un film est souvent rythmé par le montage. Ici c’est l’état du réseau qui nous tiraille, entre torpeur et semblant de vie quotidienne. Le documentaire se construit ainsi en partie au gré des aléas du blocus d’Israël sur internet, à la cadence des bombardements. Le choix de ne pas couper les « tentatives de reconnexion », comme la voix parfois saccadée de Fatma, chargent le film de réel. La même intensité se manifeste dans le rapport à la matière : la joie d’un unique paquet de chips inespéré, le désir d’un carré de chocolat, ou ces mots de Fatma : « le café est la seule chose qui te fait encore croire que la vie a un sens. »

Fait marquant du film : le sourire quasi ineffaçable de Fatma. On a envie de se rassurer et d’y voir un symbole de résilience, mais il s’agit sans doute plutôt d’un mécanisme de défense : « J’aimerais partir mais mon Gaza a besoin de moi en ce moment. Qui pourra documenter cette souffrance ? » Réduire Fatma à son sourire reviendrait à alimenter la construction narrative d’une victime parfaite, alors qu’il est un symptôme de nervosité et d’épuisement absolu. Fatma voudrait dire à Sepideh qu’il lui reste de l’espoir, qu’elle aimerait pouvoir lire Une chambre à soi et rêver d’en avoir une, mais ce qui s’impose à elle, c’est cette question : « qui pourra prendre des photos ? » Il y a bien des moments où le film s’oriente vers des angles discutables, qui auraient alourdi le film : s’appesantir sur la question du voile ou sur des actions du Hamas. Mais très rapidement, la réalité vécue de Fatma s’impose et dépasse ces écueils.

Une des dernières conversations s’achève sur la perspective d’une reconstruction de Gaza. à l’écran, ce n’est plus le visage de Fatma qui s’imprime, mais ses photos : comment reconstruire de sa main lorsque celle-ci est ouverte, abandonnée, nécrosée, inanimée ? Dès lors, pour la deuxième et dernière fois, c’est la zone d’intérêt gazaouite qui s’impose en écran noir, aux bruits de drones et d’explosions. Il ne sera bientôt plus question de reconstruction, ni de reconnaissance.

Julien CN