Après les contestations artistiques et sociales multiples lors des deux dernières éditions en public (2019 et 2020), le Festival d’Angoulême qui se tiendra du 17 au 20 mars est à nouveau contesté par une lame de fond environnementale, qui traduit bien mieux la réalité profonde du pays que le spectacle nauséabond représenté par les « ténors » de l’élection présidentielle.
En effet, le prix de la BD écolo (« Éco-Fauve Raja ») se fracasse sur le nom de son sponsor (une multinationale de l’emballage carton) et des contestations sont également signalées sur le Fauve de la BD alternative.
Un monde de la BD en révolte profonde
L’Anticapitaliste signalait déjà lors d’un récent article la contradiction entre les réelles bonnes intentions des organisateurs et la politique économique des « sponsors » du festival. À commencer par la mairie « macroniste » de droite d’Angoulême qui cherche désespérément des financements pour un parc d’attraction BD à la Disney (« Imagiland ») qui serait construit sur une zone humide. Les bénévoles avaient déjà largement signalé la contradiction mais l’association du nom de Raja, numéro un de l’emballage carton (et pas de plastique reconnaissons-le) à l’Éco-Fauve a fait à la fois déborder la coupe du jury pressenti et des auteurs sélectionnés qui ont en chœur démissionné.
François Olislaeger, président du jury démissionnaire, a expliqué sa décision sur les réseaux sociaux : « Nous avons découvert, raconte-t-il sur Facebook, sans en avoir été informés lors de l’invitation, que le nom du prix était associé à celui d’une marque, Raja, multinationale de l’emballage et partenaire-sponsor du festival. Il nous paraît inapproprié qu’une marque industrielle soit associée à un prix récompensant la bande dessinée écologiste à des fins de communication et de promotion de son image.»
Dans le jury, il faut dire qu’il y avait les scientifiques Sophie Szopa et Roland Lehoucq, la journaliste Inès Léraud bien connue de nos lecteurEs pour son combat héroïque contre les algues vertes, ainsi que de l’activiste étudiante Camille Étienne.
« Nous sommes unanimes à ne pas vouloir cautionner une démarche commerciale, à refuser de transformer notre action en promotion de l’entreprise », raconte Inès Léraud, « Raja est une entreprise qui fait des bénéfices sur de l’emballage. Il n’y a pas forcément de démarche écologique. L’écologie et le capitalisme peuvent être deux mondes opposés et on n’a pas envie que ce prix soit récupéré. »
Bien que les auteurs Blain et Davodeau1 se soient également retirés du prix, la direction du Festival ne veut pas reculer (Raja est le sponsor financier numéro un du festival) aussi le prix continuerait de s’appeler Raja-Éco-Fauve, avec toutes les déclinaisons commerciales que cela implique. Jusqu’à quand ?
Des remous pour le « Fauve de la BD alternative 2022 »
Ça s’agite aussi du côté du jury du « Fauve de la BD alternative 2022 ». On entend par bande dessinée alternative, l’édition aussi bien de petits magazines, plus communément appelés « fanzines », que de revues de bandes dessinées ou de collectifs édités par et pour des passionnés de bande dessinée. La BD alternative, c’est « l’aventure éditoriale de tous les possibles, des chemins de traverse. Si vous n’expérimentez pas, vous êtes voués à vous répéter. La production alternative est un empêcheur de tourner en rond. »2
Rappelons que Lewis Trondheim publiait régulièrement dans le fanzine Le Lézard, lauréat en 1990 et que le tandem Dupuy-Berberian est sorti de cette édition alternative dès 1982. Pour 2022, les 32 candidatures, venues de tous les continents, sont toutes des recueils collectifs qui publient plusieurs auteurs différents, édités par des structures non professionnelles. Environnementalistes et anti-nucléaires y sont légion. Le jury de ce Prix international est constitué de sept personnalités qui ne s’en laissent pas compter elles aussi. On attend la suite au moment où Macron nous annonce une nuit nucléaire pour les années à venir.
Des problèmes rassurants
Toutes ces critiques, démissions et remises en cause doivent nous rassurer. L’esprit du festival BD d’Angoulême, quasi 50 ans plus tard, n’est pas mort. Que ce grand festival dépendant de sponsors financiers et subventions étatiques puisse sortir par le haut de toutes ces contradictions constituerait un exemple pour bien d’autres évènements culturels. « À suivre », comme disait notre ami Tardi.
- 1. Christophe Blain, co-auteur avec Jean-Marc Jancovici du Monde sans fin (Dargaud), Étienne Davodeau, auteur du magnifique Droit du sol (Futuropolis). Romans graphiques déjà présentés dans l’Anticapitaliste. Signalons aussi qu’Étienne Lecroart a rejoint le mouvement, en demandant le retrait de son album Urgence climatique, publié avec le mathématicien Ivar Ekeland.
- 2. Christophe Morin, toujours président, à ce jour, de ce jury alternatif.