Publié le Vendredi 5 août 2011 à 22h28.

Que le punk français repose en paix…

 

De toutes les formes musicales enfantées par la révolution du rock depuis les années 1950, le punk en fut sûrement la plus inattendue et la plus radicale. Elle fut aussi au départ celle qui entretint les relations les plus évidentes et directes avec le champ politique. Mais que reste-t-il aujourd’hui de cet héritage et n’a-t-on pas légèrement tendance à idéaliser le passé  Droit d’inventaire avec l’exemple français du rock alternatif.

 

L'implantation du punk en France est à l’image de son histoire générale. Elle se réalisa par vagues successives et par sédimentation de générations spontanées, parfois incompatibles. S’il reste difficile de déterminer une date de naissance (le premier concert des Ramones au CBGB1 en 1974 ), en revanche, bien que formellement né aux USA en enfant légitime du rock garage (cf. les compilation « uggets ), il prend sa véritable ampleur et son identité définitive aux yeux de l’opinion avec l’explosion anglaise, depuis le coup marketing des Sex Pistols, puis la confirmation des Clash sans oublier la veine pop des Buzzcocks, puis le revival « ods  de The Jam. Le punk anglais marque aussi la rencontre avec le politique  l’héraldique anarchiste (par anticonformisme de circonstance ou par conviction) versus la provoc douteuse (Alain Pacadis, plume légendaire des pages cultures de Libération faillit se faire sacrément corriger par Pierre Goldman qui le croisa dans les locaux du journal avec son badge à croix gammée). En outre, par rejet d’une substantifique moelle jugée trop intello et petite-bourgeoise, apparaît le street punk (cf. les Cock Sparer), puis la Oi! (Four skins et cie), qui veulent rendre le mouvement au peuple des pubs et des stades  «ous défendons le punk comme une musique pour les Bootboy. La Oi! est de la classe ouvrière, si tu n’en es pas, tu prendras un grand coup dans tes couilles , expliquait ainsi le chanteur des Cockney Reject, Jeff « tinky  Turner, qui s’est vu consacrer une biographie avec préface de Morissey de feu The Smiths. Toujours politisé (le promoteur des premières compilations Oi!, Gary Bushell, en dédia le 3e opus à «Sid James and Che Guevara ), certains basculeront ainsi vers le côté obscur du populisme punk, avec Skrewdriwer et un RAC – ock Against Communism  de plus en plus ouvertement nationaliste voire néonazi (mais c’est une autre histoire). Cela dit Daniel Darc, ancien chanteur de Taxi Girl, ne disait-il pas déjà en son temps que, comme il s’agissait d’une réaction, le rock était par vocation réactionnaire (le soutien de Johnny Ramones à Ronald Reagan ou l’apparition des « onservatives punk  le confirme partiellement).

En France, et même si Paris n’est pas Londres comme le chantait Wunderbach, les premières formations commencent à apparaître à la fin des années 1970, essayant de réveiller un rock bleu-blanc-rouge asphyxié sous une variété omniprésente sur les ondes. On songe notamment à Asphalt Jungle, fondé par Patrick Eudeline, ce dernier s’avérant surtout un génial propagateur de l’esprit et de la lettre du mouvement dans Best. D’autres suivront, dont les Oliventsteins de Rouen, et leur célèbre Fier de ne rien faire, en 1978. Et évidemment La Souris déglinguée (LSD), en banlieue parisienne, en 1979, qui fait descendre sur la capitale le souffle de Sham 69 et de Madness. Des fanzines commencent aussi à éclore comme New Wave ou Les héros du peuple sont immortels, qui sortent également des compilations et organisent des concerts. Et bien que l’on ait tendance à l’oublier à l’ère du téléchargement gratuit et du mp3 surabondant, les rares disquaires où il était possible de se procurer les 33T en question constituèrent des points centraux et des plaques tournantes pour toutes les rencontres qui forgèrent la scène (cf. l’open market de Marc Zermati ou New Rose). L’explosion tant attendue tarde pourtant à se manifester. Si en Grande-Bretagne, des « ands  montent dans les charts avec des titres comme le I’m forever blowing Bubles des Cockney Rejects (au passage hymne de West Ham), en France, même si Metal Urbain arrive à passer chez Mourousi, la plupart restent confinés dans l’underground, qu’ils soient branchés ou prolétariens, par choix ou lassitude.

Rock alternatif français

L’affaire semble même classée, à deux ou trois exceptions près, lorsque survient le rock alternatif français, coup de tonnerre unique entre les yéyés et le hip-hop. Marsu, l’ex-manager des Bérus, n’en revient toujours pas  «n France, on n’a pas beaucoup de grandes gloires du rock’n’roll. Il y avait Johnny Hallyday. Visiblement on en a créé une autre avec les Bérus . Cette aventure se révèle en effet un terreau incroyablement fertile, englouti, mais pas écrasé, sous l’immense épaisseur du silence médiatique. L’héritage se condense dans l’invention d’une mythologie urbaine. Il se projette dans cette pléiade de destins personnels, qui distingue une génération depuis longtemps éclatée aux quatre coins de la société.

Comment raconter cette France du début des années quatre-vingt, qui encaisse encore péniblement sa gueule de bois de l’après-68. Téléphone donne l’illusion que le rock français existe à la télé. Progressivement, toutefois, s’agencent les pièces d’un nouveau puzzle. La gauche arrive au pouvoir en 1981. Les radios libres se multiplient. Dans le ventre chaud des squats, une fusion s’opère entre avant-gardisme artistique et lutte idéologique. Une « raction armée rock  veut produire sa musique selon ses propres règles. Un groupe se transforme en étendard. Les Bérurier Noir, supposés mourir en 1983, prennent au contraire un envol exponentiel.

Les Bérus première version détonnent artistiquement dans le panorama du punk hexagonal. Kid Loco fut instantanément séduit  «’ai vu les premiers concerts des Béruriers boîte à rythme et deux guitaristes, j’étais scotché. Un univers magnifique, avec des références très fortes, sur la psychiatrie, la guérilla urbaine, servie par une imagerie d’enfer.  Le jeune Jean-Yves, futur Kid Loco, fonde, avec d’autres, un label, Rock Radical Record puis Bondage. Il signe d’emblée les Bérus. Le début de la légende.

En six ans, une scène extraordinairement dynamique (concerts, fanzines, labels…) installe donc, à la surprise générale, un contre-modèle crédible entre l’amateur résigné et la major arrogante. Musicalement parlant, le genre rock alternatif ne signifie rien. Se côtoient des formations aux styles très éloignés  le psycho des Washington Dead Cat, le ska old school de la Marabunta, le punk-rock de Parabellum, etc.

Les Bérus vont cristalliser cette pagaille créatrice, des porte-drapeaux à leur corps défendant. Le groupe passe d’une configuration minimale à une troupe de treize personnes, une comedia dell’arte libertaire sur fond de slogans et de guitare saturée. Ils se heurtent au silence médiatique, au harcèlement policier, aux descentes de skins nazis (au Havre, le concert commence par une démonstration de nunchaku afin de calmer les crânes rasés). François se souvient dans X-Rock«e Paris des 80’s, c’était quand même la guerre civile, un climat de violence qui s’est déplacé en banlieue. La création d’un service d’ordre itinérant, constitué d’autonomes (les marginaux du gauchisme) et de redskins (skinheads antifascistes), répond à cette tension permanente.

Car le rock alternatif s’imagina aussi vecteur politique, dans un environnement surdéterminé par la montée de l’extrême droite, y compris dans la rue. Avec les travers de leur sincérité, les Bérus et quelques autres tentèrent de conscientiser la culture rock. Abordant sans complexe les sujets les plus brûlants ou tabous, comme le viol avec Hélène et le sang. Les rapports avec la sphère politique se révélèrent ambivalents. Si l’extrême gauche y puisa la bande son de ses manifs, un vecteur incroyablement puissant de fusion culturelle avec une frange de la jeunesse, elle ne percuta pas fondamentalement ce qui se déroulait sous son nez. Et, contrairement aux idées reçues, ne chercha que rarement à le récupérer. Ainsi, Marsu empêcha physiquement Julien Dray, alors responsable de SOS racisme, de monter sur scène pour interrompre une embardée iconoclaste de François.

La fin d’un cycle

L’explication première de ce que beaucoup considèrent malgré tout avec le recul comme un échec, se limite souvent à dénoncer la trahison de ceux passés «  l’ennemi , par exemple la Mano Negra ou les Négresses Vertes. Un peu facile. De fait, 1989 marque la fin d’un cycle. Le mur de Berlin s’écroule en même temps que les Bérus achèvent leur parcours à l’Olympia. Mais d’autres phénomènes, aussi déterminants, modifient la donne. Le hip-hop, après avoir traversé en France des années de quasi-clandestinité, débarque en force avec NTM et IAM, symptôme d’une nouvelle réalité sociale de la banlieue et des quartiers populaires. Les acteurs du rock alternatif ne furent pourtant pas insensibles à son émergence. Des connexions entre artistes existaient (LSD fit jouer NTM en première partie). Bondage fut même pressenti pour sortir dans un premier temps la compilation Rap Attitude.

Kid Loco se remémore pourtant fort bien le passage raté de témoin  «’achète Rising hell de Run DMC, Des guitares énormes, des boîtes à rythme qui tuent. Je me dis les Bérus qu’est-ce qu’ils foutent Qu’est que l’on fait Toute cette musique est arrivée. Je l’ai fait écouter aux Ludwig, aux Bérus (via des gens dans le graph comme Mégatone). Même résultat que pour le reggae. Les groupes avaient tous un morceau qu’ils appelaient le reggae. Ils ont tous eu un morceau étiqueté le rap. Cela leur donnait une idée, sans aller plus loin. Cette scène était musicalement très rétrograde. Cela devenait chiant. J’ai regretté que les Satellites ne surfent pas sur le revival acid jazz ou les Bérus sur du hip-hop à la Public Enemy.  Parallèlement, les musiques électroniques rénovèrent la manière de concevoir la production. Le DJ ne constituait clairement pas une idole du rock alternatif. La portée des innovations technologiques ne fut jamais complètement assimilée, juste vécue comme un palliatif au manque de moyens (la boîte à rythme au lieu d’un batteur).

Cela dit, s’il s’agit de se pencher davantage sur le fond que sur la forme, alors les ramifications pénètrent bien au-delà du seul champ d’origine et de ceux qui s’en réclament les descendants directs plus ou moins inspirés. Premier impact, le poids cumulé des ex.  les artistes (Kid Loco, Sergent Garcia ex-Ludwig, Nickman, ex-Wampas, de Sporto Kantes…), militants associatifs, professionnels de la profession (Jeff, anciens des Satellites, DA chez Sony), journalistes, réalisateurs (François Bergeron, le maître d’œuvre de Même Pas mort s’occupa du Live de NTM au Zénith), écrivains, graphistes… On ne retient souvent, à tort, que la dérive titubante d’un Santi (ex-Mano Negra) au sein de Pop Star. Cette amicale « es anciens de  prouve plutôt que le rock alternatif représenta une fantastique université populaire, une merveilleuse matrice culturelle, à un moment où l’underground n’avait droit à aucune reconnaissance institutionnelle.

En élargissant davantage vers les mouvements musicaux, la techno, ses free party, ses petits labels, son bricolage incessant, afficha de nombreuses similitudes avec les principaux traits caractéristiques du rock alternatif et du punk au sens large. De quoi cogiter à jamais le refrain toujours d’actualité de The Redskins  Take no heroes, only inspiration!!o 1. Club de New York

King Martov