Publié le Mardi 8 octobre 2013 à 14h06.

Quiniou ou le « désir » comme source du stalinisme…

Philosophe, membre du PCF, Yvon Quiniou propose dans son Retour à Marx une vigoureuse critique de feu le modèle soviétique. Il n’est jamais trop tard pour reconnaître que Staline « a été un authentique dictateur » (p. 110) et que l’on peut caractériser le régime soviétique comme totalitaire. Quiniou s’appuie largement (pour ne pas dire exclusivement) sur les travaux de l’historien américain, Moshe Lewin (Le siècle soviétique), pour argumenter son propos sur la répression, la violence, la contrainte, le Goulag, etc. Dont acte. Le stalinisme fut donc un échec.

Régression anté-matérialiste

Mais l’explication du développement de la croyance collective dans le modèle soviétique souffre assez cruellement d’un manque de matérialisme. En effet, selon Quiniou, la croyance dans le « communisme historique » relèverait d’une illusion au sens freudien du terme. Ce seraient des mécanismes d’ordre psychologique (lire la démonstration p. 118 et suivantes) qui permettraient d’expliquer le phénomène mondial d’adulation de Staline et de l’Union soviétique1.

Dans le cadre de cette régression anté-matérialiste, les partis communistes sont absents de l’explication. Partis qui furent pourtant le support, base parfaitement matérielle de l’illusion, nourrissant (au sens premier du terme) une couche de bureaucrates qui entretinrent avec ferveur la fameuse illusion psychologique du désir. L’approche du phénomène stalinien par le désir permet par ailleurs d’évacuer toute notion d’erreur en matière politique (« Cette illusion n’était donc pas totalement fausse », p. 123), puisque le régime, en URSS, aurait par ailleurs fourni aux masses de réels avantages (les acquis du socialisme !).

Cette critique du « communisme historique » ou du marxisme-léninisme (plus d’ailleurs que du stalinisme, le terme étant à peine évoqué) se fait au nom d’une lecture de Marx qui est développée dans la première partie de l’ouvrage. La teneur du propos se résume en quelques mots : Marx aurait pensé le communisme sur la base d’une société développée ; le communisme ne « peut avoir quelques chance de réussite que si les conditions matérielles de sa venue, du côté des forces productives, sont réunies » (p. 23). La nécessité historique du communisme, telle que définie par Marx selon l’interprétation de Quiniou, reposerait sur un déterminisme évolutionniste. 

Argument a-dialectique

En fait, ce que l’auteur dénonce, ce sont toutes les tentations volontaristes, la révolution bolchévique au premier chef, qui développeraient une action révolutionnaire sans que les conditions matérielles du développement du communisme ne soient réunies.

L’argument, parfaitement a-dialectique et niant le développement historique, n’est pas franchement neuf. Il est celui développé par Kautsky. Son aversion pour le processus révolutionnaire amène d’ailleurs l’auteur à approuver les analyses de François Furet (« on peut la [l’erreur volontariste imprégnée d’utopie] qualifier avec F. Furet, qui ici a raison, de “déviation subjectiviste du marxisme” », p. 106) ou à accomplir quelques contorsions théoriques pour utiliser Gramsci contre Lénine (la note 1, p. 106, constitue un chef d’œuvre de casuistique). Quiniou omet tout simplement que, contrairement à ce qu’il affirme, « la tentative autonome ou isolée d’aller au communisme » (p. 105) n’a jamais constitué l’option des bolcheviks.

Face à cet échec, celui d’une révolution violente et hâtive, Quiniou propose plutôt de s’appuyer sur les écrits tardifs d’Engels sur le rôle des élections et la démocratie parlementaire, afin d’envisager une transition pacifique vers le socialisme. D’ailleurs, ayant développé aussi bien les nationalisations que les services publics, « l’Etat, dans ce contexte, ne doit plus être conçu comme l’instrument au service des intérêts de la seule bourgeoisie » (p. 133). La revendication par l’auteur du « réformisme révolutionnaire »2 se double, en conclusion, d’une évocation du caractère proprement moral du communisme (idée déjà développée par Quiniou dans un ouvrage précédent).

Ce Retour à Marx qui se révèle au final comme un appel à « rejoindre Jaurès » (p. 129), s’il est bien dans l’air du temps, n’apparaît donc pas franchement comme une novation théorique.

Pierre Levi 

Yvon Quiniou, Retour à Marx. Pour une société post-capitaliste, Buchet-Chastel, Paris, 2013, 167 pages, 15 euros.

Notes :

1. « Disons donc que la croyance idéologique que nous analysons a été, sinon déterminée, en tous cas largement surdéterminée par la logique proprement affective du désir », p. 122.

 

2. « … la révolution n’étant alors que la somme, étalée dans le temps, de réformes qui aboutissent à nous faire changer de société », p. 129.