Entretien. À l’occasion de la sortie de son livre Plus noir dans la nuit, la grande grève des mineurs de 1948 (1), nous avons rencontré son auteure, Dominique Simonnot.
Quand on parle du régime de Vichy, on pense collaboration ou résistance clandestine, mais pas mouvement ouvrier. Ton livre rappelle la grève des mineurs du Nord de 1941 violemment réprimée. En quoi cette grève a-t-elle été une étape de la résistance ? N’étant pas historienne, je ne saurais pas le dire. En revanche, j’ai découvert, avec stupéfaction, cette grève totalement méconnue, jamais racontée, ni apprise au lycée ni relatée dans les manuels d’histoire. Il s’agit pourtant d’une grève héroïque, rassemblant 100 000 personnes contre les nazis et le régime de Vichy, au prix de risques immenses. Les femmes des corons ont elles aussi montré une bravoure sans pareil, défilant dans les bassins miniers, défiant l’occupant et la police de Pétain. Ce qui est sûr, c’est qu’après cette grève, les ouvriers ont trouvé mille façons de saboter la production de charbon afin d’empêcher qu’elle file en Allemagne.
Dans quelle mesure peut-on dire que l’appel à la grève générale des mineurs, suivi du blocage des mines, était un mouvement politique des mineurs ?En 1948, c’est la guerre froide et l’ennemi du gouvernement, ce sont les communistes. Fin septembre, sortent les « décrets Lacoste » qui enlèvent aux mineurs les améliorations de leur statut acquises à la Libération. C’était la récompense de leur courage, de leur résistance et de leur ardeur à produire « pour la France ». Leur réaction a donc été violente. En ce sens, oui, ce fut un mouvement politique, d’autant qu’il était conduit par la CGT et le PC.
Peux-tu résumer la violence de la répression de la part des patrons des Houillères (avec une bourgeoisie consciente jusqu’au bout des ongles de ses intérêts de classe), relayée par la justice et l’État fermement décidés à faire la peau aux dirigeants ouvriers ? Pas seulement aux dirigeants, à tous les encartés communistes ! Ils ont été arrêtés, et 2 300 d’entre eux ont été condamnés à de la prison ferme, pour avoir fait grève. Puis ils furent licenciés par les Houillères. Or, être viré, c’était tout perdre. La maison, l’école, le chauffage gratuit, puisque tout appartenait aux Houillères. Mais cela ne suffisait pas. Leurs proches ont eu interdiction de les héberger, et les entreprises de la région, qui vivaient des Houillères, avaient ordre de ne pas les réemployer. Une des familles, dans le livre, échoue dans un blockhaus, une autre dans une masure sans eau ni électricité.
Dans ton livre, la parole des femmes a une place particulièrement importante et émouvante. Comment ces femmes, pas toujours aussi impliquées politiquement et syndicalement que leurs compagnons, ont-elles résisté sans jamais rien lâcher ? Ces femmes que j’ai rencontrées m’ont laissée bouche bée d’admiration. Elles se battaient pour leur famille, mais aussi pour leurs conditions de vie. Elles n’avaient pas besoin de cours syndicaux, elles savaient lire une feuille de paye…
66 ans après la fin de la grève et la répression judiciaire, où en est le combat des survivants pour l’application de l’amnistie de leur condamnation, c’est-à-dire la reconnaissance de la violence de classe qu’ils ont subie ? En 1981, ils commencent à écrire aux différents ministres des tonnes de lettres décrivant les injustices subies. Ils se sont heurtés à un mur d’indifférence, pour ne pas dire de mépris. Ils ont aussi demandé justice aux tribunaux. Et, après qu’ils eurent gagné en appel grâce à leur avocat Tiennot Grumbach, Christine Lagarde, ministre de l’Économie de Sarkozy, a formé un très élégant pourvoi en cassation, afin qu’ils ne touchent pas les 30 000 euros par famille attribués par les juges. L’an dernier, Pierre Moscovici leur a certifié, par écrit, que l’État ne leur demanderait pas de les rendre. Aujourd’hui, certains continuent de réclamer l’application, à leur sort, des lois d’amnistie de 1981 et 1984, afin d’obtenir la reconstitution de leur carrière dans les mines. Je ne pense pas que le gouvernement se presse trop. D’après Norbert Gilmez, un des anciens grévistes, « ils attendent qu’on soit tous morts… »
Propos recueillis par Cathy Billard1 – Calmann-Levy, 2014, 17,50 euros.