Publié le Samedi 6 janvier 2018 à 10h39.

Retour, en quelques livres, sur le centenaire de la Révolution russe

Des « classiques » aux ouvrages récents, une sélection d’articles publiés, ou non, dans l’Anticapitaliste

Histoire de la révolution russe, de Léon Trotsky

Points Seuil, tome I : la Révolution de février, 11,50 euros ; tome II : la Révolution d’Octobre, 12,30 euros. 

« Durant les deux premiers mois de 1917, la Russie était encore la monarchie des Romanov. Huit mois plus tard, les bolcheviks tenaient déjà le gouvernail, eux que l’on ne connaissait guère au commencement de l’année et dont les leaders, au moment de leur accession au pouvoir, restaient inculpés de haute trahison. Dans l’histoire, on ne trouverait pas d’autre exemple d’un revirement aussi brusque, si surtout l’on se rappelle qu’il s’agit d’une nation de cent cinquante millions d’âmes. […] L’histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit d’une irruption violente des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées. » 

Léon Trotsky fait un récit des événements à la fois du point de vue d’un des acteurEs essentiels des révolutions de 1905 et 1917 et de celui d’un théoricien qui, au début des années 1930, réalise un immense travail d’analyse. 

HW 

La Révolution russe, de Rosa Luxemburg 

Éditions de l’Aube, 8,90 euros.

« Nous vivons tous sous la loi de l’histoire, et l’ordre socialiste ne peut précisément s’établir qu’internationalement. Les bolcheviks ont montré qu’ils peuvent faire tout ce qu’un parti vraiment révolutionnaire peut faire dans les limites des possibilités historiques. Qu’ils ne cherchent pas à faire des miracles. Car une révolution prolétarienne modèle et impeccable dans un pays isolé, épuisé par la guerre, étranglé par l’impérialisme, trahi par le prolétariat international, serait un miracle. Ce qui importe, c’est de distinguer dans la politique des bolcheviks l’essentiel de l’accessoire, la substance de l’accident. […] Sous ce rapport, Lénine, Trotsky et leurs amis ont été les premiers qui aient montré l’exemple au prolétariat mondial ; ils sont jusqu’ici encore les seuls qui puisent s’écrier […] "J’ai osé !". C’est là ce qui est essentiel, ce qui est durable dans la politique des bolcheviks. »

Lorsqu’elle écrit ces lignes, Rosa Luxemburg est en prison, condamnée pour son opposition à la guerre impérialiste. Elle affirme dans ces notes publiées après sa mort son soutien aux bolcheviks, sans taire certaines inquiétudes quant au cours des évènements.

HW

Six mois rouges en Russie, de Louise Bryant

Éditions Libertalia, 10 euros. 

Les écrits de Louise Bryant, journaliste en Russie durant la révolution de 1917, gagnaient à être connus. C’est chose faite avec la parution de ce livre écrit en 1918, enfin traduit en français.

Une compilation d’articles écrits par l’auteure entre septembre 1917 et février 1918 en tant qu’envoyée spéciale, « correspondante de guerre » des journaux étatsuniens Metropolitan et Seven Art. Louise Bryant se promène à Petrograd, de Smolny au palais d’Hiver en pleine révolution. Au côté de son compagnon John Reed, auteur des Dix Jours qui ébranlèrent le monde, elle va croiser et s’entretenir avec les anonymes que sont les gardes rouges, les marins de Cronstadt, mais aussi avec Léon Trotsky, Alexandra ­Kollontaï, Maria Spiridonova… 

Elle dépeint à la fois les difficultés de ravitaillement, la pauvreté, la faim, tout en insistant sur la formidable volonté du peuple russe en lutte, ce goût de la vie dans ces premiers mois de la révolution, de lecture, de fréquentation des théâtres, d’innovations diverses et improbables : « Lors de mon séjour en Russie, j’ai vécu nombre de petits épisodes qui, en eux-mêmes, n’ont pas une importance particulière. Mais, mis bout à bout, ils permettent de mieux faire ressentir l’atmosphère au lecteur qu’avec un tableau mûrement réfléchi »

TD

10 jours qui ébranlèrent le monde, de John Reed

Nouvelle édition. Nada, 22 euros. 

Après avoir parcouru le Mexique révolutionnaire et l’Europe en guerre (le Mexique insurgé, la Guerre dans les Balkans), le journaliste, poète et écrivain américain John Reed (1887-1920) est à Petrograd quand éclate la révolution d’Octobre 1917. Le récit qu’il livre de ces journées historiques, véritable épopée des temps modernes, plonge le lecteur dans la déferlante révolutionnaire soviétique qui va provoquer la chute du tsarisme et, dans une large mesure, bouleverser le 20e siècle. Best-seller international, Dix jours qui ébranlèrent le monde constitue un monument incontournable de journalisme. Il est ici présenté dans une édition augmentée de textes inédits de John Reed – correspondance, articles, récits – et de nombreux documents iconographiques originaux. (Présentation de l’éditeur)

Petrograd Rouge, les soviets de Petrograd (1917-1918), de David Mandel

Éditions Syllepse, 25 euros. 

 L’objectif de David Mandel est de nous faire vivre « en direct » les différents épisodes de la révolution russe à Petrograd au plus près de « ceux d’en-bas ».  Une description minutieuse de la réalité ou plutôt des réalités du prolétariat de Petrograd suivi dans ses évolutions « sociologiques » imposées par la guerre, dans ses hésitations politiques depuis février jusqu’en octobre. Des évolutions politiques qui se font sous la pression de la volonté de la classe ouvrière de construire, d’imposer, de conserver, ses revendications. Mandel contribue de façon particulièrement riche et documentée à tordre le cou à toute écriture d’une histoire linéaire, pré-programmée. Toutes les questions sont débattues autour de la façon de prendre en main la production, l’organisation de l'activité industrielle. Confrontés ici à la désertion des directeurs d’usine, ici au sabotage par ceux d'entre-eux qui tentent d’empêcher leur mise à l’écart, la concrétisation des mots d’ordre de contrôle ouvrier, de nationalisations, de « Tout le pouvoir aux soviets ». Un dernier chapitre très prenant où l’auteur décrit un prolétariat aux abois, en partie incrédule devant la signature de la paix avec l’Allemagne. Mais surtout dont la désintégration physique va laisser la place à un appareil de plus en plus autant plus autoritaire, confronté à l'énorme tâche de reconstruction du pays en guerre civile.

RP

Petrograd Rouge, la Révolution dans les usines (1917-1918), de Stephen A. Smith 

Éditions les Nuits rouges, 17 euros. 

Plus ancien, puisque sa première édition en langue anglaise date de 1983, le livre de Stephen Smith, a bien des ressemblances avec celui de Mandel.  Smtih s’attache à détailler les origines sociales des ouvriers  et leur évolution au fil des années ainsi que les divisions liées à la qualification, à l’âge ou au sexe. Après la description des méthodes patronales, « les patrons restaient plus attachés au « bâtons » qu’a la « carotte » pour diriger leurs entreprises », il met en évidence les modifications importantes apportées par la révolution de février. C’est la consolidation de ces avancées qui expliquent le développement des comités d’usine dont Smith détaille la composition et le fonctionnement. L’évolution de la situation politique, le chaos économique vont inciter les ouvriers à tenter d’élargir leur prérogatives en s’appuyant sur le contrôle ouvrier. Smith, comble partiellement un manque dans le travail de Mandel en consacrant plusieurs pages et passages aux ouvrières. Si la description des difficultés de la remise en route de l‘activité économique diffère peu de celle de Mandel, la main-mise, d’abord par les syndicats puis par le parti sa critique des positions de Lénine est plus radicale : «  Ainsi, pour lui (Lénine), les méthodes capitalistes de discipline au travail et de gestion par un seul n’étaient pas forcément incompatibles avec le socialisme. En fait, il alla si loin dans cette direction qu’il finit par considérer ces  méthodes comme intrinsèquement progressistes, ne comprenant pas qu’elles sapaient les initiatives ouvrières sur les lieux de production. Lénine pensait que la la transitoires le socialisme, en dernier instance, était garantie non par l’auto-activité des ouvriers mais par la caractère « prolétarien » du pouvoir d’état ».

RP

Russie/URSS/Russie (1917-1991), de Moshe Lewin 

Coédition M Éditeur, Page 2 et Syllepse, 20 euros. 

Un recueil de huit textes de Moshe Lewin, qui couvrent l’histoire de l’URSS, de la révolution de 1917 jusqu’à son effondrement au début des années 1990. L’objectif est de décrire et comprendre l’histoire des événements, les enchaînements et les ruptures, « les continuités et discontinuités », l’origine de la révolution, la révolution elle-même, son évolution, sa dégénérescence, la formation du stalinisme puis du « totalitarisme bureaucratique ». Ce « système barbare construit sur les ruines d’un grand idéal émancipateur » comme Moshe Lewin définit l’URSS après la contre-révolution stalinienne, a une histoire. Il a évolué. Rien n’était écrit. C’est tout au long de cette histoire qu’a eu lieu l’accumulation des contradictions internes qui a abouti à l’effondrement d’un régime et d’un pouvoir « archaïques et fossilisés » incapables de faire face à l’évolution de la société et du monde. 

Ceux qui ont voulu voir le socialisme et la pensée de Marx dans le stalinisme et ses suites, même sous la forme du « socialisme réellement existant », sont, pour Moshe Lewin, disqualifiés : « Le socialisme, comme idéal visant à plus de démocratie et à une éthique sociale exigeante, n’a, en tant que système, jamais existé où que ce soit » écrit-il.

YL

La révolution dans la culture et le mode de vie. Russie soviétique (1917-1927), de Nicolas Fornet 

Les Bons caractères, 8,20 euros.

La révolution russe est trop souvent réduite à ses dimensions politiques et sociales. Entre 1917 et 1927, la Russie est en fait le théâtre d’un formidable bouleversement sociétal et culturel. Pour les dirigeants bolcheviks, les questions du mode de vie et de la culture ne doivent pas être renvoyées à un futur incertain mais sont d’une importance immédiate. Nicolas Fornet passe en revue l’immense œuvre de transformation entreprise malgré la guerre civile et l’agression étrangère. Éducation et pédagogie, émancipation des femmes, des nationalités opprimées et des juifs, droits des homosexuels, rapports avec les religions, théâtre, cinéma, musique, peinture, architecture, etc. : tout cela est saisi par le vent de transformation impulsé par le nouveau pouvoir mais aussi par ceux et celles qui sont directement concernés. La lutte contre l’analphabétisme et pour l’éducation est une priorité : il s’agit de donner à chacun dans les plus brefs délais la capacité de s’inscrire dans les transformations en cours.

Malgré certaines limites, cet ouvrage, facilement accessible, rend compte d’une époque de bouillonnement et de progrès immenses.

HW

Les dilemmes de Lénine, de Tariq Ali

Sabine Wespieser éditeur, 25 euros. 

Avec les Dilemmes de Lénine, Tariq Ali nous propose un ouvrage à mi-chemin entre la biographie et l’essai, puisqu’il s’agit pour l’auteur de situer la trajectoire de Lénine dans son environnement politique, social et idéologique.

Par son choix d’étudier les « dilemmes » de Lénine (face au terrorisme, à la guerre, à la révolution, etc.), l’auteur montre amplement à quel point la pensée du dirigeant révolutionnaire n’avait rien à voir avec le dogme mais était bien, sur la base de principes fondamentaux du marxisme, « l’analyse concrète d’une situation concrète ».

Les développements biographiques permettent en outre de mesurer à quel point les analyses et choix de Lénine ont été façonnés par son histoire personnelle. On en apprend beaucoup sur la progression des idées révolutionnaires en Russie, sur les débats qui ont agité les mouvements politiques antitsaristes, sur les difficiles et conflictuels choix des bolchéviks entre février et octobre 1917, mais aussi sur les discussions concernant la stratégie militaire, les relations internationales ou la place des revendications féministes dans le processus révolutionnaire. 

JS

Les femmes dans la révolution russe, de Jean-Jacques Marie

Éditions du Seuil, 21 euros.

Jean-Jacques Marie réussit, en faisant appel à des archives très riches, à retracer le cheminement, étroitement mêlé, de la révolution et de la libération des femmes de la deuxième moitié du 19e siècle jusqu’à la fin des années 1920.

L’auteur nous fait sentir le poids de l’oppression tsariste, notamment pour la population des campagnes et pour les paysannes. Il retrace l’engagement de ces jeunes femmes cultivées et issues de l’aristocratie dans le mouvement populiste au 19e siècle. Plusieurs d’entre elles se radicalisent et participent directement aux attentats contre les dignitaires du régime. 

Progressivement, avec le début de l’industrialisation et l’impasse de la stratégie fondée sur la violence terroriste, les grèves et les manifestations – durement réprimées – prennent le relais. Les femmes y sont non seulement très présentes mais y jouent souvent un rôle « déterminant », voire d’avant-garde, comme le 23 février (8 mars) 1917. 

Après la chute du tsar et l’installation du gouvernement bolchevik, on assiste à une « avalanche » de décrets révolutionnaires, pour reprendre l’expression de l’auteur. Parmi tous ces décrets, certains concernent tout particulièrement la vie quotidienne des femmes.

Tout cela pouvait bousculer les rapports sociaux, mais le décalage qui s’instaure progressivement entre les décrets et leur mise en application est énorme, d’abord avec la guerre civile, puis avec la contre-révolution stalinienne, synonyme de profonds reculs.

On sort groggy de la lecture de ce livre. Mais c’est un des intérêts de ­l’ouvrage : nous dessiller les yeux.

JT 

Que faire de 1917 ?, d’Olivier Besancenot 

Éditions Autrement, 17 euros

Dans un ouvrage visant un large public, Olivier Besancenot entend « tordre le cou aux deux vérités récurrentes consacrées à 1917 : la révolution d’octobre n’est pas un coup d’État mais bien une révolution ; la révolution ne fut pas coupable, mais victime de la contre-révolution bureaucratique qui allait la terrasser dans les années 1920 ». ­L’objectif est rempli.

Les manifestations et grèves de masse de février 1917 sont décrites de façon vivante. Il en est de même pour le mouvement multiforme (comités d’usine, soviets, etc.) d’auto-organisation qui a suivi et qui se renforce et se radicalise face à l’incapacité du gouvernement provisoire à satisfaire les revendications populaires. Le rôle du parti bolchevik, devenu un parti de masse, est souligné : il apporte au mouvement d’auto-organisation une coordination et une orientation. L’auteur rappelle que le parti de 1917 n’est en rien le bloc monolithique décrit après coup par l’historiographie stalinienne.

Mais le nouveau pouvoir va quasi immédiatement être confronté à l’intervention étrangère et à la contre-révolution interne. La révolution russe « était d’emblée condamnée à un choix tragique : abdiquer ou défendre chèrement sa peau ». Les destructions de la guerre civile ont été terribles et, avec les mesures exceptionnelles prises pour vaincre les armées blanches, ont créé un terreau favorable au développement de la bureaucratie.

La contre-révolution avait bien « deux têtes » : l’une était visible (les blancs et les impérialistes), l’autre se profilait (la bureaucratie). Et c’est cette dernière qui l’a emporté. Olivier Besancenot avance une analyse du phénomène de bureaucratisation et quelques pistes pour se prémunir de ce péril : une réflexion qui reste ouverte. 

HW