Molly Antopol, Gallimard, 2015, 22,90 euros.
Une idée familière aux lecteurs de l’Anticapitaliste : « Les hommes et les femmes font l’histoire. Mais ils la font dans des circonstances qu’ils ne choisissent pas ». Une idée qui colle bien à ce livre et qui pourrait exciter leur curiosité… Plus prosaïquement, cela pourrait donner « nous sommes libres de choisir nos vies, oui, bien sûr, mais pas tant que ça... ».
Le titre retenu dans la traduction française, celui de la deuxième nouvelle, est un choix judicieux : en effet, la jeune écrivaine de San Francisco déploie son art sur un mode mineur, elle raconte tranquillement… Et « La traversée des apparences » (titre d’un roman de Virginia Woolf) pourrait en être le parfait sous-titre.Elle prend son temps. Elle a d’ailleurs mis 8 années pour nous donner ces 8 histoires...
à l’opposé de Annie Saumont qui écrit dans une grande épure des nouvelles le plus souvent très courtes, Molly Antopol, elle, se donne trente à quarante pages, accumule les observations, les phrases échangées, creuse, soulève, s’approche, revient en arrière. Va voir ailleurs. Et soudain les personnages existent : si vivants, si humains, les cœurs palpitent ! Les frustrations sont nombreuses, on ne les étale pas, ça non, mais on ne parvient jamais à les escamoter totalement. Il y a les jardins secrets, une caisse pleine dans la dernière nouvelle, Rétrospective , mais pour y accéder, il faut un regard exercé, patient, savoir laisser venir…
Traversée des apparences, traversée du siècle précédent, de l’océan, des générations : toutes les histoires racontées là sont entre USA et Russie, Ukraine, Biélorussie, Tchécoslovaquie et Palestine/Israël. Et jamais l’Histoire – la Deuxième Guerre mondiale, l’Est post 89, Prague, le maccarthysme… – n’est rabaissée à un décor de carton-pâte, jamais les personnages ne sont réduits au rôle de marionnettes de l’Histoire.
Fernand Bekrich